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Pr Jean Sibilia : Le numerus clausus est mort, vive le nouveau cycle des études médicales

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Elu président de la Conférence des doyens en janvier 2018, doyen de la faculté de Strasbourg et chef de service de rhumatologie, le Pr Sibilia fait le point pour Remede sur les nombreuses réformes qui vont transformer les études de santé : disparition du numerus clausus, réformes des 1er et 2e cycle, service sanitaire et 3e cycle, suppression des ECN… vous saurez tout sur les changements à venir !

Pourquoi avez-vous choisi la médecine et ensuite la rhumatologie ?
Mon père était interne lorsque j’étais enfant et je l’ai accompagné au cours de sa formation dans les hôpitaux périphériques. Il s’est ensuite installé comme médecin généraliste. Je pense que cette image de l’engagement et de la passion de mon père pour la médecine générale m’a beaucoup influencé. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être médecin. Au cours de mes études, j’ai eu le bonheur de travailler avec les professeurs Ash et Kuntz qui ont été mes « pères » en rhumatologie, mais j’ai fait deux grandes rencontres. La première a été avec Jacques Sany, professeur de rhumatologie à Montpellier, le créateur de l’immuno-rhumatologie. C’est grâce à lui que j’ai découvert les mystères des maladies auto-immunes. Ce monde de l’immunologie m’a passionné dès les années 1980. La deuxième rencontre, majeure, est celle de Maxime Seligman*, le père de l’immunologie clinique en France. Il a notamment découvert les anti-ADN natifs et les cryoglobulines, avec les Prs Jean-Paul Fermand et Jean-Claude Brouet. Ces rencontres à l’hôpital St-Louis ont été déterminantes pour ma carrière. C’est là que je suis devenu médecin-chercheur, physiopathologiste, ce qui implique d’être à la fois clinicien et scientifique. J’ai toujours construit ma carrière sur ces deux piliers, ce qui m’a permis d’intégrer différentes équipes de recherche et d’être aujourd’hui directeur adjoint de l’Unité Inserm 1109 Immuno-rhumatologie moléculaire, à Strasbourg. Pour l’instant, je consulte un peu moins pour des raisons de temps, mais j’ai toujours 3 ou 4 demi-journées de consultation. C’est toujours un immense plaisir pour moi de voir mes patients et de les soigner !

Le président de la République a annoncé le 18 septembre la suppression du numerus clausus. Etiez-vous favorable à cette mesure ?

Oui, il était nécessaire de supprimer le numerus clausus en l’état. Il était l’emblème sémantique de l’échec et de la souffrance de nos jeunes étudiants. Cet outil a fait son temps ; il était contourné et n’était plus efficient. Il était responsable de trop d’échecs d’excellents lycéens en première année. Il fallait stopper ce gâchis. Néanmoins, il faudra conserver une régulation car il faut que nos facultés aient les capacités pédagogiques de mettre en place les réformes. Il faudra s’adapter aux besoins démographiques du futur qui seront conditionnés non seulement par l’évolution des maladies et de leurs traitements mais aussi par celle de l’organisation des soins. N’oublions pas non plus le poids de la régulation économique car la formation médicale a un coût pour notre pays.

Une régulation définie dans quelles proportions et par quelles instances ?
Soyons clairs : il n’est pas utile de doubler le nombre de médecins, car dans 5 à 6 ans, nous allons entrer dans une période de démographie médicale plus favorable. Nous ne souhaitons pas un « néo numerus clausus » mais pas non plus une ouverture massive du nombre de places en deuxième année. Nous souhaitons conserver une forme de sélection pour être capable de bien former nos étudiants, comme le demande le président de la République.
Nous avons plutôt plaidé pour un numerus apertus, c’est-à-dire un chiffre plancher, une limite en dessous de laquelle il n’est pas souhaitable de descendre. En complément, nous souhaitons qu’un ajustement territorial de ce numerus apertus soit possible, dans la limite des capacités d’accueil de chaque faculté. Par ailleurs, nous avons fait le pari d’une prise en charge pluriprofessionnelle par une médecine de proximité réorganisée. Il n’est donc pas question de multiplier le nombre de médecins car nos futurs médecins seront de plus en plus dans une logique de partage des tâches.

Est-ce que la disparition du numerus clausus permettra de résoudre le problème des déserts médicaux, comme l’affirment certains ?
Cela ne réglera pas le problème des déserts médicaux dans les dix ou quinze ans qui viennent. Néanmoins, un réajustement du nombre de médecins formés à la hausse et surtout une diversification des profils des soignants sera bénéfique à long terme. En modifiant le profil des étudiants qui entrent en premier cycle, et en proposant des parcours diversifiés, on peut imaginer que les professionnels de santé se répartiront différemment sur le territoire, dans une réorganisation de l’offre de soins de proximité. Cette réforme permettra aussi de rassurer les jeunes qui souhaitent se former dans nos universités et d’éviter des départs par centaines vers d’autres facultés à l’étranger, comme en Roumanie. Je pense que si l’on améliore l’accès aux études de santé en France, on pourra leur redonner confiance et limiter ce phénomène.

Quels sont les premiers bilans concernant les expérimentations Pluri-Pass et Alter-Paces ? Par ailleurs, la fin du redoublement en Paces est-elle amenée à se généraliser dans l’ensemble des facultés ?
L’Alter-Paces est testée dans 16 universités, depuis la rentrée 2014-2015. Elle permet à des étudiants ayant validé une deuxième année de licence de bénéficier d’une première chance en Paces, sous réserve des critères d’admission. Le nombre de places proposées est passé de 100 à 600 en quatre ans et l’expérimentation est positive, même si le nombre de candidatures n’est pas très élevé pour le moment. Concernant le Pluri-Pass, la troisième promotion est en cours. L’objectif est d’aider les étudiants entrant en Paces à accéder à des études longues, niveau master et plus, ou à des filières courtes dans les autres métiers de la santé. Pour la Paces sans redoublement, dont l’expérimentation commence cette année, il est trop tôt pour dire si elle va se généraliser. C’est en appliquant cette expérimentation que l’on va voir s’il y a des dysfonctionnements et des contournements. Nous poursuivrons ces trois expérimentations (Pluri-Pass, Alter-Paces, Paces sans redoublement) au moins jusqu’en 2020. Les bilans qui en seront faits seront utilisés pour préciser le cadre de la réforme des études de santé. Nous verrons en 2019 ce que précisera la grande loi santé-formation prévue.

Quelles autres questions restent à trancher concernant la réforme du 1er cycle ?
S’il est décidé la mise en place d’une organisation de type licence santé sur trois ans, il faut que nous soyons en mesure de l’appliquer. Une idée, testée actuellement, est la Paces dématérialisée avec des Mooc remplaçant les cours en amphi avec un renforcement des TD et du tutorat. Quoi qu’il en soit, cette réforme ne se fera pas au détriment de la qualité de la formation.
La question fondamentale pour ce 1er cycle rénové est : quand et comment exercerez-vous la régulation ? A la fin de la première année ou à la fin de la troisième ? Rien n’est encore tranché. Reste aussi la possibilité que chaque université se détermine selon un modèle librement choisi. Dans d’autres pays, cela fonctionne comme cela, en Amérique du Nord notamment : chaque université a ses propres fonctionnements, programmes et financements. En France, la culture universitaire est différente et nous ne sommes probablement pas prêts à basculer dans un ultra-libéralisme de ce type qui, à mon sens, ne serait pas souhaitable. Nous tenons profondément à une université accessible qui exerce sa fonction d’ascenseur social.

Où en est la réforme du deuxième cycle ?
Les groupes de travail sont en place. Nous voulons faire disparaître le « Tout ECN » et revoir le socle de connaissances qui doivent être acquises en deuxième cycle et surtout renforcer l’apprentissage de la compétence et de la pertinence. Il n’est plus question par exemple – et les étudiants s’en plaignent à juste titre ! – que l’hypertension soit enseignée dans plusieurs disciplines différentes (cardiologie, néphrologie, pédiatrie, etc.). Les compétences, plus particulièrement les stages hospitaliers mais aussi extrahospitaliers, seront développées et évaluées. De nouvelles méthodes d’évaluation comme les tests de concordance de script (TCS) qui permettent d’analyser le raisonnement clinique du professionnel seront utilisées. L’idée est de sortir des QCM et d’arrêter de penser que la décision médicale est blanche ou noire, alors qu’en réalité, il y a une zone d’incertitude. Il est fondamental d’enseigner à nos étudiants comment gérer l’incertitude médicale, qui sera leur quotidien.
Par ailleurs, les projets professionnels seront valorisés. L’étudiant pourra s’orienter précocement vers un projet professionnel. Dans ce cas, les parcours ne seront plus strictement identiques, ni évalués de la même façon, ce qui nécessite d’assumer une forme de diversité et donc de subjectivité. Ce deuxième cycle réformé concernera les étudiants qui seront en Paces en 2019-2020.

L’une des priorités de votre mandat est de renforcer et mieux répartir les terrains de stage pour le troisième cycle. Quels sont vos leviers sur ce point ?
-  La réforme du troisième cycle en est à la fin de la phase socle et nous allons entrer dans la phase d’approfondissement. Un certain nombre de points ont été très bien appliqués, mais il y a malgré tout quelques inquiétudes persistantes. Par exemple, comment valider les nouvelles maquettes et les anciennes en répartissant le plus harmonieusement les étudiants dans des stages hospitaliers et extrahospitaliers ? Chaque faculté doit, en lien avec les ARS, trouver des terrains de stage adéquats dans un respect de l’engagement pédagogique de cette réforme. Rapidement, l’ouverture plus large de stages extra-hospitaliers en médecine libérale est souhaitable (comme c’était le cas en médecine générale et dans certaines spécialités), sans couper les étudiants de l’hôpital bien sûr. En médecine générale, ces terrains de stage se sont développés pour répondre à la maquette qui prévoyait légitimement davantage d’ambulatoire. Bientôt, d’autres spécialités comme la pédiatrie, la gynécologie, la dermatologie, la rhumatologie, l’ophtalmologie, devraient bénéficier de stages libéraux. Il faut du temps pour organiser tout cela afin que nous puissions agréer les terrains et les maîtres de stage. Nous nous y sommes engagés et nous le ferons.

Pour finir, quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui se lancent dans des études en pleine réforme ? Comment se tenir informé ?
Je leur dirais : vous allez faire un métier extraordinaire qui va encore se métamorphoser de façon incroyable ces prochaines décennies. C’est une aventure formidable de s’engager dans un projet professionnel au service des autres, cela donne du sens à notre vie ! Plus concrètement, nous organisons des réunions d’information régulières dans les facultés avec nos élus et nos étudiants. Par ailleurs, les étudiants peuvent s’adresser aux référents pédagogiques. Leur rôle est justement de transmettre les infos au fur et à mesure. Je suis doyen depuis huit ans, et je peux vous assurer que le niveau d’information de nos étudiants est bien supérieur à ce qu’il était grâce à leur implication dans nos équipes ! Cependant, le souci, c’est que l’on ne s’intéresse parfois à ces différentes réformes que lorsqu’elles nous concernent directement… Ainsi, certains mettent un peu de temps à s’adapter à ces changements mais nous sommes là pour les accompagner.

Propos recueillis par Sophie Cousin

Pour en savoir plus :
https://histoire.inserm.fr/les-femmes-et-les-hommes/maxime-seligmann
-  Interview du Pr Dubois-Randé, aout 2017 : http://www.remede.org/documents/il-est-urgent-de-revaloriser-les-competences-des-etudiants-en-sante.html)

Bio express :
-  1990 : Diplôme d’études spécialisées en rhumatologie, Strasbourg
-  1991 : Doctorat d’Etat en médecine, Strasbourg.
-  1997 : Habilitation à diriger des recherches, Strasbourg.
-  depuis 2006 : coresponsable du Centre national de référence "Maladies auto-immunes systémiques rares" ;
-  Depuis 2016 : Conférence des doyens de médecine (vice-président de 2016 à 2018, président depuis janvier 2018).

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