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Pr Patrizia Paterlini-Bréchot « Le jour où le cancer est devenu ma cible »

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Après des dizaines d’années passées dans la pénombre de son laboratoire de recherche, elle s’est retrouvée sous les projecteurs des médias depuis la parution de « Tuer le cancer »* en janvier dernier. Cette professeure de biologie cellulaire et oncologie nous raconte les nombreuses marches gravies jusqu’à la mise au point, avec son équipe, d’un test sanguin de dépistage précoce des cellules tumorales. Une ode à l’obstination.


-  Aviez-vous des figures médicales dans votre entourage en Italie ?

-  Depuis que j’étais petite, j’avais cette envie de soigner, de soulager la souffrance. En Italie, le médecin de mon village était très disponible et paternel. Je n’ai pas suivi la même voie que lui mais je dois dire que ce médecin a été mon premier modèle. J’avais par ailleurs un oncle médecin, qui m’avait très fortement déconseillé de faire ces études. Lui était ORL et avait abandonné l’hôpital universitaire pour faire une carrière dans le privé. Il avait beaucoup regretté sa carrière académique et me disait que c’était trop compliqué pour une femme de mener en parallèle une telle carrière et une vie de famille. Ma mère était enseignante en sciences dans l’enseignement supérieur, mais pas dans le domaine biomédical. Elle avait arrêté d’enseigner lorsqu’elle avait eu ses enfants.

-Avez quelques anecdotes à nous raconter concernant vos études de médecine en Italie ?

-  J’ai eu la grande chance d’avoir en 5ème et 6ème année un enseignant de très haut niveau, qui était professeur de clinique médicale. C’était le Pr Mario Coppo, directeur du département de clinique médicale. A l’issue de ces deux années, nous passions un examen très important, pour tester comment nous pouvions utiliser nos connaissances médicales pour soigner les patients. Il m’a montré que c’était un métier extraordinaire, c’est avec lui que j’ai tout appris. « Il Maestro » était le médecin des célébrités. Il soignait la Callas, le pape et tout un tas de têtes couronnées. On recevait dans son département les cas non résolus, qui venaient de toute l’Europe, ceux pour lesquels la médecine ne pouvait rien. Excellent acteur, il savait mettre en scène la médecine comme une intrigue policière : qui est le meurtrier (le virus, la bactérie ou le dérèglement fonctionnel ?) Comment opère-t-il ? quelle est l’arme du crime ?

-Pourquoi choisissez-vous une double spécialisation en hématologie puis oncologie ?

-  A 24 ans, j’ai soigné un patient qui était terrorisé à l’idée d’avoir un cancer. Il était dans un état de panique irrationnelle, qu’il m’a transmise. Il avait perdu son père d’un cancer du pancréas quelques années auparavant et était dans une condition physique très dégradée. Il avait des symptômes de maladie avancée. J’ai reçu les résultats de ses examens : il avait bien un cancer du pancréas. En médecine à l’époque, il n’y avait pas de formation en psychologie pour annoncer des maladies très graves. J’ai demandé à mes collègues : « qu’est-ce que je dois dire à mon patient ? Il me demande sans arrêt si c’est un cancer… ? ». C’était abominable, je pensais qu’il ne parviendrait pas à faire face si je lui disais la vérité. Mes collègues me disaient : « Navigue à vue, mais fais attention, on est au 5ème étage et il n’y a pas de barreaux… ». Je lui ai menti, je lui ai dit qu’il n’avait pas un cancer... Peu de temps avant sa mort, il m’a regardé avec des yeux… Il m’a dit « Tu m’as trahi ». Et là j’ai tout abandonné, je me suis enfuie. Ca a été un grand choc, un moment clé de ma vie. Soit j’arrêtais médecine. Soit je continuais, mais là je devais vraiment me battre. Après ça, je me suis orientée vers l’hématologie, qui était le domaine de prédilection des scientifiques pour étudier les cellules tumorales des leucémies, qui sont présentes dans le sang. Puis j’ai fait une deuxième spécialisation en oncologie, pour étudier les cancers solides.

-La grande actualité vous concernant est la mise au point de votre test ISET (Isolation by Size of Tumor Cells). Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs de quoi il s’agit ?

-  C’est une simple prise de sang de 10 ml. Le sang est ensuite dilué avec une solution qui permet de le rendre filtrable. C’est cette solution qui fait un travail clé et nous ne pouvons pas donner sa composition : elle est sous brevet de l’Université Paris Descartes, de l’AP-HP, et de l’Inserm. Le sang est agité doucement pendant 10 minutes avec cette solution, avant d’être filtré. Le sang dilué est versé dans une cartouche spéciale. Une grande majorité des cellules sanguines est éliminée par filtration et celles qui restent sur le filtre sont les cellules tumorales, qui ont une dimension supérieure (12 à 30 microns, contre 8 microns en moyenne pour une cellule sanguine « normale »). Les cellules sont examinées sur le filtre lui-même par le cytopathologiste dont le métier est d’identifier les cellules tumorales.

-  Combien d’années ont été nécessaires pour la mise au point de ce test et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

-  Les cellules tumorales circulantes ont été découvertes en 1869 par un médecin australien. Mais, pendant des décennies, les chercheurs n’arrivaient pas à les trouver dans le sang. Des années 1960 aux années 1990, faute de pouvoir les étudier chez l’homme, les chercheurs américains ont fait énormément d’études chez l’animal. Ils ont montré que les cellules tumorales commençaient à circuler des années avant que les métastases ne se forment. Dans les années 1990, mon équipe travaillait sur des techniques de biologie moléculaires pour détecter les cellules tumorales circulantes chez les patients avec cancer du foie. Néanmoins, nous avons aussi publié des études soulignant les limites de ces techniques moléculaires pour mettre en évidence de façon fiable les cellules tumorales. En 2000, nous avons publié la méthode qui allait déboucher sur le test ISET, mais il restait beaucoup à faire. Les difficultés ont été nombreuses… Le premier brevet nous a été pris de manière frauduleuse par l’industriel qui nous avait prêté des outils pour développer notre système, alors que nous avions fait un compte-rendu de nos travaux aux dirigeants de sa compagnie et que nous étions sous accord de confidentialité. L’Inserm a pu récupérer notre brevet au tribunal, après sa faillite, en montrant nos cahiers de laboratoire.

-  Comment ont été financés vos travaux de recherche ?

-  Nous avons reçu des subventions publiques et issues de partenariats public-privé, autour de 150 000€, ce qui nous a permis, moyennant beaucoup de travail, d’avancer et de fabriquer l’appareil. Avec les financements privés, j’ai découvert que ce secteur pouvait être animé par d’autres objectifs que ceux du public... Mais finalement, j’ai eu beaucoup de chance car les brevets ont été attribués aux partenaires institutionnels (Paris-Descartes, l’Inserm et l’AP-HP). De mon côté, j’ai créé, sur la base de la loi de l’innovation, une compagnie qui a reçu la licence exclusive des brevets ISET. Les difficultés m’ont donné la force de faire les choses comme je pensais qu’elles devaient être faites.

-  Quelles sont les publications récentes les plus décisives concernant votre test ?

-  En tout, une cinquantaine d’études ont été réalisées avec l’appareil ISET. Je précise que ces études sont complètement indépendantes, non financées par l’industrie. Ainsi, en 2014, dans la revue « Plos One », une étude menée à Nice par une équipe française, auprès de 245 patients, dont 168 fumeurs atteints d’une BPCO, a permis de dépister par ISET le 5 patients qui allaient développer une tumeur 1 à 4 ans avant que le scanner ne montre le nodule. C’était la première fois qu’un test détectait le cancer avant l’imagerie. En janvier de cette année, nous avons publié une étude dans « Plos One » montrant les capacités de notre équipe à analyser les molécules issues de ces cellules rares. Notre objectif est celui là : être capable de dire de quels organes proviennent ces cellules tumorales.

-  Aujourd’hui, qui peut bénéficier d’ISET ? A quel prix est-il disponible et où ?

-  Pour l’instant, le test est commercialisé pour les personnes qui ont déjà un cancer, avec deux indications médicales : affiner le bilan d’extension, et vérifier si le traitement parvient à détruire les cellules tumorales. Il est valable pour tout type de cancer solide (tumeur), à l’exception donc des leucémies et des lymphomes. Chez les patients à risque (antécédents familiaux ou gènes de prédisposition), le test n’est pas capable pour l’instant de dire dans quel organe se trouve le cancer, ni dans quel délai la tumeur va apparaître. Avant d’être autorisé à le faire, le patient doit signer un document de consentement éclairé, après avoir reçu et bien compris cette information. Aujourd’hui, le test est déjà disponible dans quelques laboratoires en France (Paris et Nice) et en Italie. Petit à petit, il sera mis à disposition dans d’autres grandes villes. Il coûte 486€, ce qui est un prix ultra compacté : des tests moins performants sont vendus 1200 dollars aux Etats-Unis. Nous sommes en discussion avec l’Assurance Maladie pour essayer d’obtenir son remboursement.

Propos recueillis par Sophie Cousin


* P Paterlini-Bréchot, « Tuer le cancer. La femme qui révolutionne la lutte contre le cancer », Stock

Bio express
-  1981 : spécialiste en hématologie
-  1984 : spécialiste en oncologie
-  1993 : Thèse « Bases fondamentales en oncogénèse », Université de Paris XI
-  1994 : nommée Maître de conférence à la faculté Necker-Enfants malades
-  depuis 2000 : développement de la méthode ISET (Isolation by Size of Tumor Cells)
-  2004 : nommée Professeur de biologie cellulaire et oncologie
-  2006 : nommée Directrice de l’Unité Inserm 807, « Diagnostic des maladies génétiques par l’analyse de la signalisation calcique et des cellules fœtales circulantes »

En savoir plus
-  www.isetbyrarecells.com : toutes les infos sur le test ISET
-  www.safetestsforlife.org : l’association « Safe Test for Life » a été créée pour aider les recherches académiques et les patients qui ne peuvent pas financer eux-mêmes la réalisation du test ISET

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