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Philippe Charlier : « Je suis médecin légiste avant tout »

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Il a choisi la médecine légale pour être à la frontière de la biologie et de l’humanisme. Agacé par le battage médiatique autour de ses travaux sur les dépouilles royales, Philippe Charlier consacre en réalité la majeure partie de son temps à explorer les corps vivants ou morts d’illustres inconnus. Très pris par l’enseignement, la médecine de prison et la médecine légale clinique, il a pris le temps de nous raconter sa vocation pour une médecine au service d’autrui.

Bio express

-  25 juin 1977 : naissance à Meaux
-  2012 : publie « Les secrets des grands crimes de l’histoire » (Vuibert)
-  2013 : soutient sa thèse d’éthique « Le statut du corps mort »
-  2015 : publie « Zombis, enquête sur les morts-vivants » (éditions Tallandier) et "Enquête d’ailleurs. Frontières du corps et de l’esprit" (Balland) qui décrit une trentaine de rituels autour du corps humain, vivant ou mort.

J’ai lu que vous rêviez de faire des études d’archéologie mais que vos parents avaient préféré vous inscrire en médecine. Est-ce le cas ? Comment s’est passée votre orientation ?
J’ai toujours baigné dans une atmosphère médicale : mon père médecin, ma mère pharmacien. Je me souviens que j’adorais aller chez l’ophtalmo, le dentiste et l’ORL lorsque j’étais enfant. J’aimais beaucoup ce rapport humain entre le médecin et son malade, et ce lien s’est d’ailleurs révélé de plus en plus fortement à moi au cours de mes études de médecine.
J’aimais beaucoup cette idée que le corps envoyait des messages et que le médecin était là pour les attraper. J’étais fasciné que l’ORL ait des appareils capables de voir au fond de mes oreilles et j’aimais ce côté explorateur du médecin vis-à-vis du corps.
Par ailleurs, j’aimais beaucoup l’archéologie aussi. Mais entre les deux, cela a été assez vite tranché : c’était médecine de toute façon. Ce choix s’est fait par vocation familiale mais aussi par inclinaison personnelle. La médecine ouvre à tout, c’est l’avantage.

Comment se sont déroulées vos études de médecine ? Quels sont vos meilleurs souvenirs d’étudiant ?
J’espère avoir été un étudiant sérieux et impliqué. Je me souviens que j’arrivais longtemps à l’avance pour être bien placé dans l’amphithéâtre. J’aimais bien poser des questions à la fin des cours pour être sûr d’avoir bien compris et j’appréciais les liens qui se sont tissés avec quelques professeurs de 1ère et 2ème année. Je suis d’ailleurs toujours en contact avec quelques-uns d’entre eux (notamment Pr de virologie et psychologie).
L’ambiance était très stimulante. On essayait de découvrir des syndromes originaux, on imaginait des cas cliniques entre nous, on parlait de nos dossiers. J’ai apprécié ce passage très rapide de la théorie à la pratique et cette immersion presque immédiate dans l’atmosphère hospitalière.
Cette période est surtout l’occasion d’échanges humains très forts entre étudiants. On est plus que des amis : on partage des annonces de diagnostic, des agonies, des décès, qui donnent déjà à voir l’intensité de ce métier.

Comment se passe votre spécialisation ensuite ?
Je voulais une discipline qui me permette de changer de dimension. C’est pourquoi j’ai choisi l’anatomo-cyto-pathologie, discipline qui permet d’examiner le corps in extenso au moment de la dissection anatomique, puis ensuite au niveau tissulaire et moléculaire. Je continue de trouver ce franchissement de la clinique au diagnostic microscopique extrêmement intéressant.
J’ai beaucoup aimé –et j’aime toujours- la médecine légale, qui est ma pratique quotidienne. Elle revêt deux dimensions : la médecine légale clinique (coups, blessures, viols) sur des patients vivants et la médecine légale thanatologique qui s’intéresse aux patients décédés et anonymes. Anapath’ et médecine légale sont extrêmement complémentaires.
J’ai découvert par ailleurs sur mon parcours l’anthropologie physique et sociale, qui apporte un regard humain essentiel, je pense, lorsque l’on exerce la médecine légale. Notamment sur le sens de notre pratique : jusqu’où doit-on aller ? quelle est la limite entre le questionnement scientifique/intellectuel et le respect dû au corps mort ? C’est d’ailleurs le thème que j’ai développé dans ma thèse de sciences, soutenue à Paris Descartes (« Le statut du corps mort »).

Pouvez-vous nous raconter votre internat et votre thèse ?
J’ai fait mon internat d’anapath’ à Lille et c’était le bonheur. J’habitais à Paris (où résidait ma future femme, alors interne en radiologie) et je faisais l’aller-retour tous les jours. J’ai écrit ma thèse et mes premiers articles dans le TGV, raison pour laquelle j’ai dédié ma thèse de médecine (« Aspects évolutifs des malformations humaines ») au président de la SNCF. Une heure de train le matin, une heure le soir, pendant 4 ans, cela vous laisse vraiment le temps d’écrire ! Le TGV était mon deuxième bureau.
Ensuite, j’ai fait mon clinicat à Garches, chez le Pr Durigon, chez qui je suis resté maître de conférences.

Quelles sont vos fonctions actuelles ?
Je suis toujours Maître de conférences des Universités-Praticien hospitalier, rattaché au CASH (Centre d’accueil et de services hospitaliers) de Nanterre, où j’ai une consultation d’anthropologie médicale. J’y exerce la médecine légale clinique auprès de patients demandeurs d’asile, chez qui je décris des lésions physiques causées par des mutilations ou des agressions dans leurs pays d’origine. Je suis par ailleurs médecin de prison à la maison d’arrêt de Nanterre.
Et je donne des cours aux étudiants en médecine et maïeutique à l’Université Paris Descartes et à Versailles- Saint Quentin-en-Yvelines.

J’imagine un quotidien souvent difficile. Quels sont vos trucs pour décompresser ?
Ma famille (d’abord), mes collègues (à commencer par mon chef de service), mes amis (parfois du bout du monde : Jaipur, par exemple).
Sinon, j’ai toujours un livre dans la poche (Italo Calvino, en ce moment) et un bon morceau de jazz ou de baroque pas très loin....

Dans cet emploi du temps déjà bien rempli, comment avez-vous réussi à développer par ailleurs vos travaux en anthropologie ?
Je collabore en parallèle avec certaines institutions dans le champ de l’anthropologie. Les connexions sont importantes entre l’anthropologie et la médecine légale. L’anthropologie m’a donné les moyens d’étude que j’utilise maintenant en pratique courante : un regard évolutif sur l’Homme et une façon d’interroger le corps et de tenter d’organiser cette lutte contre l’inconnu (maladie, mort, lendemain). Mais avant toute chose, je suis médecin légiste. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est l’anthropologie du corps humain, vivant ou mort. Les corps souffrant, les corps meurtris.

Parmi vos recherches, pouvez-vous nous raconter l’une de vos découvertes la plus marquante et/ou insolite ?
Je travaillais et travaille encore sur les zombis, ces individus qui sont en situation de mort sociale, sur le territoire de Haïti. Quel est le processus à l’œuvre dans la fabrication des zombis ? Une société qui a décidé, pour des raisons magico-religieuses, politiques, ou de conflit entre deux personnes, de supprimer un individu. Mais plutôt que le tuer stricto sensu, cette société décide de le tuer socialement. L’individu est drogué et enterré, pour faire croire qu’il est mort. Puis, il est ressorti de son cercueil, dé-drogué à l’aide de toxiques, maintenu dans cet état de zombi et expédié à l’autre bout de l’île où il sera utilisé comme esclave. Ce qui m’intéressait, en tant que médecin légiste et anthropologue, était de voir que ces critères de zombification pouvaient s’appliquer à d’autres morts sociales ici en France, notamment dans l’hôpital où je travaille. Les exclus de la société que sont les SDF, les détenus, les personnes âgées ou certaines personnes en situation de handicap ne sont-ils pas nos zombis ?

Quel regard portez-vous sur les études médicales depuis la réforme de 2010 ?
J’en ai discuté avec des étudiants et ceux qui sont passés par cette réforme ont trouvé cela bénéfique d’avoir davantage de tremplins et de passerelles, ce qui peut leur éviter une perte de temps.
Je suis un peu inquiet en revanche concernant les e-ENC (ENC sur tablettes électroniques), pour lesquelles les essais ne sont pas concluants, avec des examens blancs annulés les uns après les autres.

Le taux d’échec en première année ne vous inquiète-t-il pas ?
A titre personnel, j’ai été recalé en première année et cela m’a fait du bien ! J’ai appris à mieux organiser mon travail et mieux hiérarchiser les informations à retenir. C’est parfois un mal pour un bien d’échouer en première année de médecine car cela fait mûrir, tout simplement. Il faut rebondir sur ses échecs, s’en servir comme tremplin.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes étudiants qui souhaitent s’orienter vers la médecine légale ?
Lorsque l’on est interne, je pense qu’il faut faire confiance aux coordinateurs régionaux de DES ou de DESC. Il ne faut pas hésiter à aller les consulter avec son profil de carrière, car ils sont là pour conseiller les étudiants. Certains d’entre eux ont peur de faire cette démarche, c’est vraiment dommage. Ces conseillers voient bien plus loin que l’interne, et de façon beaucoup plus pragmatique. Certes, c’est une bonne chose de chercher à se démarquer, mais l’originalité ne doit pas tuer le sérieux. Je conseille de faire d’abord son travail hospitalier et universitaire et, ensuite seulement, de satisfaire à ses passions. Pas de dispersion : c’est mon mot d’ordre.

Propos recueillis par Sophie Cousin pour remede.org

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