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Martin Winckler : « Tout soignant en formation devrait d’abord se colleter à la souffrance au quotidien »

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Il a jeté un pavé dans la mare avec « Les Brutes en blanc » (Flammarion), paru en octobre dernier. Mais ce livre n’est que l’aboutissement d’une lecture critique permanente –depuis ses propres études- des relations soignant-soigné en France et de leur genèse sur les bancs de la Fac. Ce médecin-écrivain très apprécié du grand public pour son franc-parler et sa disponibilité (il répond à tous ses mails !), explique à Remede.org ce qui, pour lui, pêche dans le système d’enseignement médical à la française.
Bio express :
-  1972-1973 : il séjourne un an aux Etats-Unis, dans le Minnesota
-  1979 : il est diplômé de la fac de médecine de Tours
-  1981-1993 : il exerce la médecine générale dans la Sarthe
-  1983-1989 : il collabore à la revue Prescrire et publie son premier roman La Vacation
-  1993-2008 : il exerce la médecine à temps partiel à l’Hôpital du Mans, service de planification. En parallèle, il devient écrivain et traducteur à temps partiel.
-  1998 : La Maladie de Sachs ; 2001 : Contraceptions, mode d’emploi ; 2004 : Les Trois médecins.
-  depuis 2009, il vit à Montréal (où il a écrit Le Chœur des femmes) et participe aux enseignements dans les facultés de médecine McGill et d’Ottawa.


-  Quand et pour quelles raisons avez-vous décidé de faire médecine ?

-  J’avais envie de soigner, mais au départ, c’était plus un fantasme qu’autre chose. Mon père était pneumo-phtisiologue libéral en Algérie jusqu’en 1961. En France, il a repris une activité de médecine générale à partir de 1963. En 2nde ou 1ère, j’ai mieux compris ce qu’était l’exercice de la médecine, en écoutant mon père et en voyant combien ses patients allaient mieux après l’avoir consulté. J’avais envie de suivre ses traces mais il ne m’a pas forcé.

-Les études vous plaisent-elles ?
-  Non. Et je ne parle pas du contenu (qui était souvent passionnant) ou des enseignants (il y en avait de remarquables), mais de l’état d’esprit élitiste, sexiste, raciste, aussi bien parmi les étudiants que parmi certains enseignants. J’ai subi ou assisté, impuissant, à de nombreux bizutages. Deux de mes camarades de fac ont été violées par des étudiants (et aucun n’a été sanctionné), deux copains antillais subissaient sans arrêt des propos racistes… et j’en passe ! Je ne vous apprendrai pas que dépression, toxicomanie et suicide sont fréquents parmi les médecins en formation, et ce n’est pas seulement parce que « le métier est dur ».

-En tant qu’étudiant, étiez-vous déjà distancié sur certains aspects de votre formation ?
-  Certainement. En 3e ou 4e année, je participe à une revue contestataire (pro-IVG, pro-euthanasie, pro-légalisation du cannabis.). Dans mon journal, en 1977, j’écrivais que le jour venu j’apprendrais à pratiquer des IVG. J’avais déjà des idées très précises de la manière dont je voulais travailler et des engagements que j’assumerais. Dès DCEM4, j’ai décidé (et clairement annoncé à mes camarades, à mes parents, à ceux de mes profs qui me respectaient) que je ne préparerais pas l’internat, et que je serais MG ; j’ai toujours choisi des stages très cliniques, et j’ai fait des remplacements très tôt.

-Quelle est la place de l’écriture dans votre vie d’adolescent, d’étudiant puis de jeune médecin ?
-  J’écris depuis que j’ai 12 ou 13 ans – des nouvelles, un journal –, ça m’a toujours accompagné, comme d’autres font de la musique ou du dessin. Je lisais beaucoup et ça m’a ouvert à de nombreux témoignages/livres de médecins, en anglais et en français, car j’avais passé un an aux États-Unis en 1972-73, après le lycée. J’ai pu me familiariser avec la médecine telle qu’on l’écrivait dans les pays anglo-saxons. J’ai pris beaucoup de notes sur mes stages, les comportements des médecins, les remarques faites en cours, etc. Je « commentais » par écrit tout ce qui m’arrivait ou presque. Ça aide à y voir plus clair, à séparer les sentiments de la réflexion, et à canaliser la colère et la frustration.


-  En 1993, pourquoi arrêtez-vous votre exercice de médecin de campagne pour rejoindre le service de planification de l’hôpital du Mans ?

-  Je bossais au centre de planification depuis 1983, année de mon installation comme MG. Mais au début des années 90, mon association avec un autre médecin ne fonctionnait pas bien et j’avais divorcé. Je me suis dit : « Je vais aller travailler plus près du Mans » - où je vivais alors. Mon associée et mon successeur ont exigé par contrat que je ne m’installe pas dans un rayon de 20 kilomètres pendant les 5 premières années. Alors je me suis dit : « Je vais bosser à l’hôpital et faire de la traduction médicale et je me réinstallerai au Mans après ». En même temps que je traduisais, j’écrivais La Maladie de Sachs et des livres de vulgarisation médicale. En 1998, le succès du roman m’a donné à penser que je pourrais écrire le livre dont je rêvais sur la contraception. Alors je n’ai pas repris de cabinet, mais je me suis davantage investi dans mes vacations au centre de planification (IVG et consultations de contraception).


-  Dans votre chapitre sur « la fabrique des Brutes en blanc », vous critiquez la reproduction d’un système élitiste et sexiste, au détriment de la rigueur scientifique et du soin des patients. Depuis votre propre formation, la situation ne s’est-elle pas améliorée ?

-  La situation a certainement changé, mais de manière très inégale d’une faculté à une autre. Depuis 10 ans, j’ai rencontré des professeurs de médecine très ouverts dans des facs comme Lille, Tours, Brest ou Clermont-Ferrand, et d’autres qui ne l’étaient pas du tout.
Le système, lui, n’a pas changé et beaucoup de ses acteurs ne veulent pas qu’il change. Il n’y a pas si longtemps, des étudiants m’écrivaient que leur doyen, à la première session de PACES, avait dénigré la MG et parlé avec mépris des autres professions de santé.
Ma perception n’est pas fondée – comme certains l’ont dit à la publication du livre – sur des « mauvais souvenirs » de mes études, mais sur des centaines de témoignages. J’ai eu un compte internet et une adresse courriel très tôt (en 1995) et ai été, avec François Bon, l’un des tout premiers écrivains français qui donnaient leur adresse courriel dans leurs livres et qui répondaient aux messages.


-  Le sexisme n’est-il pas en train de s’atténuer compte tenu de la féminisation très rapide des professions de santé ?

-  Un blog nommé « Paye ta blouse » vient d’être créé. La dénonciation du sexisme ordinaire, quotidien, actuel, y est polyphonique. Alors à vous de me dire s’il s’atténue. Je pense qu’il y a des centaines de médecins qui vous diront que non.
Le sexisme ne changera pas seulement du fait de la féminisation, car il est lié au fait que les postes d’autorité sont encore majoritairement détenus par des hommes ET au fait que le sexisme n’est pas une question de genre, mais de personnalité. On est sexiste parce qu’on se sent supérieur aux femmes en qu’en tant que médecin (homme ou femme) : on croit savoir « mieux que les patientes » ce qui est « bon pour elles ». D’ailleurs, les patientes qui parlent du sexisme qu’on leur fait subir disent que les médecins femmes peuvent être aussi toxiques que les hommes !

- En quoi les systèmes canadiens et américains ont-ils une bonne longueur d’avance sur le nôtre ?
-  Par la notion qu’ils ont du professionnalisme médical. Ils considèrent que devenir un professionnel impose de s’interroger sur ses attitudes, ses préjugés, ses valeurs, et de se comporter en conséquence. Bien sûr, tous les médecins du Canada ne sont pas des parangons de vertu, mais les étudiants sont les premiers à dénoncer les comportements qu’ils trouvent inacceptables – sexisme, homophobie, racisme. Il faut dire qu’au Canada, la société est beaucoup plus égalitaire et multiethnique qu’en France. Ça change les choses. Au Canada, « enseigner » l’examen gynécologique sous anesthésie générale sur une femme non consentante est impensable. L’argument « Faut bien apprendre » n’est juste pas recevable – tout simplement parce que le consentement et le respect du patient font partie des fondements mêmes de la formation. C’est un exemple, mais il me semble très éclairant.

-Quelles sont vos principales propositions de réforme du système d’enseignement français ?
-  Il y a de belles initiatives un peu partout, par des enseignants dévoués, mais malheureusement de manière anecdotique, le plus souvent sous forme de DU – donc, en formations optionnelles. Si les facs pouvaient s’inspirer de ces expériences et partager, généraliser, ça serait déjà pas mal.
Il y a un paradoxe central dans la formation médicale : les intérêts personnels légitimes et respectables des médecins (gagner leur vie à la hauteur des services rendus, avoir une vie de famille épanouie) ne sont pas compatibles avec ce que la société est en droit d’attendre : qu’ils soient disponibles, qu’ils se mettent constamment à jour de leurs connaissances, qu’ils n’abusent pas de leur position, qu’ils soient indépendants de l’industrie, qu’ils prennent le parti des patients les plus vulnérables et les soignent en priorité. Aucun médecin n’est bien payé pour s’occuper des patients vulnérables. Les médecins en position d’autorité militent d’abord pour favoriser les intérêts des membres les plus favorisés de la profession.


-  De quel œil voyez-vous la réforme récente des études médicales ? La création d’une PACES commune à tous les étudiants des professions de santé en 2010 n’est-elle pas une décision qui va dans le bon sens, celui d’un décloisonnement ?

-  Ce serait une bonne idée s’il n’y avait plus de concours du tout. Aux Pays-Bas, ils sont tirés au sort après le lycée, parce que là-bas on considère que tout le monde peut devenir un bon médecin à condition d’être bien formé. En France, on est loin de cette idéologie là. Et on n’admet toujours pas que la majorité des étudiants qui réussissent le concours viennent de milieux favorisés, ce qui contribue à l’élitisme de la profession.
Je suggère (mais je ne rêve pas) qu’on supprime le concours et que les étudiants soient recrutés 1° sur dossier scolaire après une formation préalable d’un an ou deux en psychologie, sciences humaines, éthique et biologie humaine appliquée et non en maths et physique, 2° sur un entretien (à McGill, l’université anglophone de Montréal, l’entretien est mené par un médecin et un patient !!!) et 3° après une expérience personnelle d’aide-soignant de 6 mois au moins, notée par les autres professionnels de santé. Tout soignant en formation devrait d’abord se colleter à la souffrance au quotidien. Il est insensé de transformer en médecins des individus qui n’ont pas envie de soigner. Ils se feront du mal et ils feront du mal aux autres.

-Pour finir, quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui se lancent aujourd’hui dans le cursus médical et paramédical ?
-  Si vous avez envie de soigner, ne vous focalisez pas sur le métier de médecin. Même si vous n’intégrez pas médecine, vous ferez du très bon boulot dans les autres professions de santé. Mieux vaut être une sage-femme ou un psychologue épanouis qu’un médecin qui déteste son métier. On ne peut pas soigner en n’aimant ni les gens, ni son boulot. D’autre part, ce ne sont pas votre statut ou vos titres qui feront votre valeur, c’est votre comportement envers les autres. Si vous n’êtes pas prêt(e)s à vous mettre au service de la personne en face de vous – et donc, parfois, à l’accompagner et à la soutenir dans des choix qui ne seraient pas les vôtres – alors ne devenez pas un professionnel de santé.

Propos recueillis par Sophie Cousin


Bio express :

-  1972-1973 : il séjourne un an aux Etats-Unis, dans le Minnesota
-  1979 : il est diplômé de la fac de médecine de Tours
-  1981-1993 : il exerce la médecine générale dans la Sarthe
-  1983-1989 : il collabore à la revue Prescrire et publie son premier roman La Vacation
-  1993-2008 : il exerce la médecine à temps partiel à l’Hôpital du Mans, service de planification. En parallèle, il devient écrivain et traducteur à temps partiel.
-  1998 : La Maladie de Sachs ; 2001 : Contraceptions, mode d’emploi ; 2004 : Les Trois médecins.
-  depuis 2009, il vit à Montréal (où il a écrit Le Chœur des femmes) et participe aux enseignements dans les facultés de médecine McGill et d’Ottawa.

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