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Les soignants psychiatres au bout du bout du rouleau

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Mal payés, sans moyens humains et matériels, privés de médecins, les personnels soignants dans la psychiatrie ont exprimé leur ras le bol lors d’une grande manifestation nationale place de la République à Paris le 22 janvier dernier. Leur voeu principal pour la nouvelle année : redonner du sens à leur métier. Reportage.

« Aujourd’hui à l’hôpital, l’austérité tue les soignants comme les patients. Comment
ne pas s’en indigner ? La psychiatrie hospitalière est à l’agonie et le constat est alarmant : sous-effectif soignant massif, fuite des médecins, violences, tyrannie du chiffre, manque de places et d’accueil… » Ce constat a été dressé par l’un des médecins de l’hôpital psy du Rouvray, le Dr Fethi Brethel à la tribune installée place de la République à Paris lors de la grande Journée nationale de la psychiatrie du 22 janvier dernier. Environ 300 soignants s’étaient donné rendez-vous dans le froid et la neige. Malgré le temps glacial, les manifestants étaient "chauds" et remontés comme des coucous. Avant même les revendications salariales, les manifestants mettent en avant la perte de sens de leur métier, liée au manque de moyens et de temps. Pour Bernard, infirmier et secrétaire CGT (celui qui tient la pancarte sur la banderole), « il n’y a plus d’écoute des patients. La moitié de notre travail consiste à valider les traitements sur l’ordinateur. Nous n’avons plus le temps d’organiser des réunions de synthèse ou cliniques. Et les chefs de pôle ne nous aident pas puisqu’ils sont pieds et mains liés au bon vouloir du directeur à devoir rendre des comptes. » Cette injonction administrative est confirmée par Nicolas, infirmier à l’hôpital de Saint-Etienne (collectif la psy cause) : « En étant caricatural, il vaut mieux au préalable avoir coché le soin sur l’ordinateur avant de l’avoir fait. Mais avec les enveloppes fermées, cette course à l’acte est inutile puisque plus on fait d’actes, plus leur prix va diminuer. » Cette recherche permanente d’économies est accrue par le déficit de l’établissement.

Regroupements de structures et coupes dans les effectifs

Au-delà du manque de moyens, les regroupements ont un impact sur les pratiques des soignants et les conditions de prises en charge des patients, puisqu’ils sont la plupart du temps associés à des coupes dans les effectifs. Illustration avec le nouveau Groupement hospitalier de territoire Paris, Psychiatrie et Neurosciences qui regroupent désormais trois établissements depuis le 1er janvier 2019 : EPS Maison-Blanche, CH Sainte-Anne, GPS Perray Vaucluse, les Hôpitaux de Saint-Maurice et l’ASM 13. Selon Bernard, avec ce nouveau GHT, une centaine de postes seront supprimés. Quant à Jennifer, psychomotricienne dans le même GHT, elle se plaint des fusions de territoires et de budgets : « Désormais, les enveloppes budgétaires sont distribuées pour le tout-Paris tant pour le recrutement que pour les achats de matériel. »

Glissement de tâches

Sur Paris et la région parisienne, les soignants mettent en cause la réforme des RTT imposée par Martin Hirsch en 2016. Cette dernière vient d’être mise en œuvre, depuis le 1er janvier pour ce GHT. Ainsi, les soignants de Perray Vaucluse (Sainte-Geneviève-des-Bois), au-delà du déménagement, passent de tranches horaires de 12 heures à 7H30, ce qui les fait travailler 250 jours au lieu de 150 par an. Selon Jennifer et Michelle, infirmière, l’uniformisation du temps de travail a dégradé les conditions de prise en charge des patients : « En pédopsy, on nous demande de travailler plus sur des périodes scolaires, une plage horaire où les enfants sont moins présents. Chez les enfants et en ambulatoire, nous sommes systématiquement comparés à la psychiatrie adulte alors que nous vivons dans une réalité complètement différente », insistent-elles. Ce glissement des tâches est confirmé par Olivia, infirmière en CMP à Saint-Etienne : « Notre direction nous propose de travailler 7 jours sur 7 afin de désengorger les urgences. Mais nous ne parvenons même pas à travailler 5 jours sur 7. Et nous nous trouvons face à un paradoxe : la population accueillie en CMP n’est pas forcément la même que celle des urgences qui traite de cas plus "lourds" et "éclatés" et qui sont ingérables pour nous en CMP. » Conséquence, les soignants ne respectent pas toujours les consignes. Pour Jennifer, « en pédopsychiatrie, on nous demande presque de licencier nos petits patients avec cette fermeture précoce (17H30 au lieu de 19 heures). Et c’est impossible pour nous de l’annoncer à nos patients. Nous ne sommes donc pas en mesure de respecter ce nouvel horaire. »

Envoyer les patients en Belgique

Cette situation due au manque de moyens est soulignée par Bruno, éducateur spécialisé à Maison Blanche : « Nous sommes obligés d’envoyer nos patients pour leur suivi en Belgique où ils ont des places et où le coût du travail est moins cher qu’en France. Pis, nous avons des contrats sur chaque pathologie : un dépressif ne doit pas rester plus de trois semaines, un dépressif pas plus de deux semaines. Ensuite, on les remet dehors même s’ils ne sont pas stabilisés, car il faut en accueilir d’autres. » Avec le risque que ces patients mal soignés soient de nouveau hospitalisés quelques semaines plus tard. Thomas, infirmier à l’hôpital nord de Saint-Etienne enfonce le clou. Il déplore « l’accueil des malades dans des conditions humiliantes et "déshumaines" ». Résultat, il compte démissionner dans les mois à venir : « Le paradoxe est que nous continuons à fermer des lits à cause du manque de moyens. Sur notre site, nous avons pourtant 300 patients en liste d’attente. Pis, on ferme aussi des structures extrahospitalières et surtout nous n’avons quasiment plus de médecins. »

Manque chronique de médecins

Ce manque chronique de médecins est relayé dans tous les établissements psy, et notamment par Jean, infirmier à Philippe-Pinel (Amiens) où 30 postes de soignants viennent d’être créés par la tutelle pour mettre fin au mouvement de grève entamé avant l’été : « Un de nos pôles est piloté entièrement par des médecins intérimaires auxquelles la gestion du pôle a été confiée. Suite aux dysfonctionnements croissants dans ce service, tous les médecins en poste ont démissionné. » Résultat, aucun projet à 5 ou 6 mois n’est envisageable avec des médecins précaires. Ces derniers sont d’ailleurs pénalisés par le manque de lits, une quinzaine de leurs patients étant hospitalisés dans d’autres services. « La prise en charge s’en ressent forcément », s’indigne Jean. Une des solutions pour remédier au manque de médecins passerait-elle par la création de postes d’infirmières en pratiques avancées (IPA) ? Non, selon Bernard, « nos dirigeants souhaitent promouvoir les IPA qui seront capables de prescrire à la place des médecins ». Quant à Nicolas qui a vu partir un médecin psychiatre (en poste pendant quinze ans) vers le libéral, il craint que par ce biais des IPA on cherche à justifier le manque de médecins : « Avec la multiplication des acteurs, nous risquons de faire des glissements de tâches. Il faut pouvoir travailler de manière coordonnée en allant dans le même sens pour le patient. Malheureusement, nous n’avons plus le temps de penser le soin de manière singulière », déplore-t-il.

Comment relancer l’attractivité médicale ?

Comment alors relancer l’attractivité du métier en l’absence de médecins psychiatres ? Une des solutions serait de créer un nouveau diplôme d’État d’infirmier en psychiatrie, selon les plus anciens, comme l’explique Michelle, ancienne infirmière en psychiatrie : « Avec la suppression du statut en 1992, les infirmiers psy ont pu faire reconnaître leur diplôme qui n’était pas reconnu par l’État. Du coup, ils sont devenus DE. Mais la différence entre les infirmiers psy et les infirmiers généraux n’avait plus lieu d’être. » C’est une crainte de Nicolas : « Aujourd’hui, nous n’avons plus de psychiatres. Demain, cela sera au tour des infirmières. Et après comment fera-t-on ? »

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  • Arnaud Janin
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