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Jean-Louis Etienne : « J’adore ma vie mais j’ai deux regrets : la chirurgie et le rugby »

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Célèbre et récompensé à maintes reprises pour ses innombrables expéditions dans les mers et banquises glaciales du grand Nord et de l’Antarctique , Jean-Louis Etienne a accepté de nous raconter ses études de médecine, ses passions et bifurcations de l’époque et de nous livrer sa vision du cursus actuel. Infatigable et enthousiaste, il prépare une nouvelle expédition en Antarctique pour 2017.

Bio express

-  1946 : naissance à Vielmur, Tarn
-  1965 : entre à la Faculté de Médecine de Grenoble
-  1975 : soutient sa thèse, intitulée « Rotation d’Axis sur Atlas » (radiologie)
-  1986 : premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, en tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours
-  1989-90 : expédition Trans Antarctica, la grande traversée de l’Antarctique
-  2004-2005 : expédition Clipperton, mission sur la biodiversité sur cette île du Pacifique
-  En savoir + : http://www.jeanlouisetienne.com

Quels sont les meilleurs souvenirs de vos études de médecine et quels ont été les facteurs déterminants dans l’orientation de votre cursus ?
J’ai fait une première formation de tourneur-fraiseur et j’ai passé le Bac technique. J’avais toutes les possibilités : architecte, ingénieur, etc… Mais j’avais envie d’une implication sociale et j’aimais les sciences naturelles, c’est ce qui a guidé mon choix vers la médecine. Je me suis donc inscrit à la Faculté de médecine de Toulouse. Petite parenthèse : je dois vous dire que cela a été un choix révolutionnaire dans ma famille. Mon père, qui était tailleur d’habits, a toujours été embarrassé par mon choix ; à l’époque, le médecin, c’était la bourgeoisie…
Nous étions en mai 1968 quand j’ai fait ma deuxième année. Je suis allé demander à un chirurgien chef de service s’il voulait bien m’accepter dans son bloc opératoire. Je suis venu là tout le mois de juillet : je me tenais contre le mur du bloc et j’observais tout ce qui se passait. Un jour, une urgence de la main arrive. Le chef de service cherche son interne, mais il s’était absenté. Il dit alors à la chef de bloc « Habillez Etienne ». Ca a été le grand moment de ma vie d’étudiant en médecine ! On m’a habillé en chirurgien et j’ai fait aide opératoire. J’ai retrouvé en chirurgie ce goût pour le geste manuel que j’ai toujours eu. La chirurgie -orthopédique notamment- m’a passionné. Ce chirurgien, le Dr Guibé m’appelait régulièrement en me disant « vous ne voulez pas venir demain Etienne, j’ai un estomac ? « venez Etienne, demain je fais un col du fémur ». J’ai préparé le concours de l’internat et ai été reçu à l’hôpital de région. J’ai choisi l’hôpital de Castres dans le Tarn, où j’ai été l’interne de Guibé avec qui j’ai énormément appris.

En sortant de la Fac, de quelles façons avez-vous commencé à exercer la médecine ? Quand et pourquoi avez-vous arrêté ?
Depuis longtemps, j’avais en tête d’être médecin d’expédition. J’aurais adoré aussi être médecin de montagne, je m’imaginais faire des visites à ski ! J’ai été médecin d’expédition de 1974 à 1985. Pendant ces années-là, j’étais remplaçant en médecine générale pour pouvoir gagner ma vie et rester libre pour partir en expédition.
En 1986, je décide de faire mon expédition en solitaire au Pôle Nord. J’avais fait plein d’expéditions auparavant mais là c’était la première que je dirigeais moi-même. J’avais inventé l’histoire, réuni les moyens pour la faire et… je réussis cette expédition ! Cela m’a donné tout-à-coup confiance pour continuer cette vie. C’est à ce moment là que je suis devenu organisateur d’expéditions polaires. Aujourd’hui, j’adore ma vie. J’ai juste deux frustrations : la chirurgie et le rugby. La chirurgie me plaisait à 100%. J’ai tout aimé en chirurgie : le geste, l’ambiance du bloc, l’intensité de l’action. Mais on ne peut pas tout faire ! A un moment donné, j’ai donné la priorité aux expéditions.
Par ailleurs, j’ai eu longtemps de gros regrets par rapport au rugby. J’avais commencé à jouer à 14 ans : j’étais un garçon très timide et le rugby m’a donné une assurance, une confiance en moi que je n’avais pas. Mais j’ai eu un problème de santé important, qui m’a obligé à arrêter le rugby à l’âge de 17 ans. Cet arrêt a été terrible pour moi. Pendant longtemps, je n’ai pas pu regarder un match de rugby.

Parmi toutes vos expéditions, lesquelles ont été les plus marquantes pour vous ?
Le pôle Nord en 1986, celle dont je parlais tout à l’heure, est une vraie transition pour moi. Tout à coup, j’abandonne la médecine et je me consacre aux expéditions. J’y ai acquis la confiance à mener des projets complexes, à résister à la tentation de l’abandon.
La seconde qui m’a le plus marqué, c’est la course autour du monde avec Tabarly en 1977-78. A l’époque, j’étais assistant d’université à Toulouse en anatomo-pathologique-histologie. Je donnais des cours aux étudiants depuis le mois de septembre. En février, je reçois une lettre d’Eric Tabarly, que j’avais rencontré un an auparavant, et qui me propose de venir faire la course autour du monde avec lui. Sans réfléchir, j’ai dit : j’y vais ! J’ai quitté toute perspective universitaire définitivement à ce moment-là.

Et quel est le résultat médical, ou l’application, dont vous êtes le plus fier ?
Avant de partir au Pôle Nord, en février 1986, les services de santé des armées ont fait une expérience de thermorégulation sur moi. Je suis resté pendant 2 heures dans un caisson à +1°C, à poil, avec un ventilateur à 0,8 mètre/seconde. C’était absolument insupportable. Ma température centrale est restée à 37°C ; en revanche mes pieds et mes mains étaient à 8°C. J’ai consommé beaucoup d’oxygène pour rester à 37°C.
Lors de l‘expédition qui a suivi, j’ai été confronté pendant deux mois à des températures comprises entre -52°C et -18°C. A mon retour, j’ai refait le même test. Et là, on s’est rendu compte que j’avais beaucoup moins consommé d’oxygène parce que ma température centrale était descendue à 35,5°C. Cette expérience a mis en évidence les capacités hypothermiques de l’organisme : face au froid extrême, l’organisme est capable de se mettre en situation d’économie.

De quel œil voyez-vous l’évolution du cursus médical et notamment les difficultés rencontrées par les étudiants pour obtenir leur diplôme aujourd’hui ?
Je suis effondré par la façon dont se déroule aujourd’hui le cursus de médecine. A mon époque, il était beaucoup moins compliqué d’entrer en médecine et les étudiants avaient des profils plus variés : certains venaient de philo, d’autres de « sciences ex », d’autres de math, etc… Certains abandonnaient parce qu’ils changeaient d’avis en cours de route. Il y avait un écrémage qui me semblait beaucoup plus personnel et moins basé sur le bachotage intensif et les aléas du concours aujourd’hui. Beaucoup d’étudiants choisissaient médecine générale par vocation, de sorte qu’il y avait une vraie population territoriale de généralistes.
Aujourd’hui, les médecins généralistes sont une espèce en voie de disparition. Avec ce concours très difficile, je pense que l’on écarte injustement des jeunes gens qui auraient vocation à devenir médecin généraliste. Je suis mécontent de ce numerus clausus et je ne sais pas pourquoi on l’a fixé à ce niveau-là. A un moment, il se disait qu’il avait été fixé de cette façon pour, en diminuant le nombre de médecins, diminuer le nombre d’actes et réduire le déficit de la Sécurité Sociale. C’est tellement idiot, je ne sais pas si l’argumentaire est celui-là dans les cabinets ministériels… On vit beaucoup « hors –sol » aujourd’hui, notamment dans les ministères, et je trouve que bon nombre de décisions nous éloignent du sens commun.

Quels sont vos projets en cours et quelles données scientifiques espérez-vous en tirer ?
Mon prochain projet, programmé pour 2017, est une station océanographique habitée, le POLAR POD, qui va dériver autour de l’Antarctique avec le courant circumpolaire. C’est une zone océanique mal connue car les missions sont difficiles à organiser là-bas et coûteuses. Nous allons construire ce nouveau bateau. Les demandes pour ce projet sont énormes, en provenance de Etats-Unis, d’Afrique du Sud, d’Australie, de France.
Les trois domaines d’études sont : la capacité de cet océan à absorber le gaz carbonique (les chercheurs pensent aujourd’hui que c’est le principal puits de carbone de la planète, et nous voulons valider cette hypothèse majeure, dans le contexte climatique actuel) ; le deuxième objectif est de faire un inventaire de la faune par acoustique (sachant que l’on connaît aujourd’hui la signature sonore de toutes les espèces) ; le troisième objectif est la validation, au sol, des mesures satellites existantes pour cette région du globe. Cette expédition devrait durer trois ans, avec des équipages relayés tous les deux mois environ.
Plus d’infos sur ce projet et ceux déjà menés par Jean Louis Etienne à l’adresse suivante : http://www.jeanlouisetienne.com

Propos recueillis par Sophie Cousin pour remede.org

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