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Fin de vie : « la même hypocrisie que pour les avortements à l’époque »

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Le débat sur la fin de vie est relancé. Le Pr Jean-Louis Touraine, spécialiste en Immunologie, transplantation et déficits immunitaires a déposé en octobre dernier une proposition de loi visant à créer une aide médicale à mourir. « Ni euthanasie, ni suicide assisté », cette demande réitérée d’un patient en impasse thérapeutique, examinée par un collège de trois médecins, offrirait une alternative aux Français qui se rendent à l’étranger pour obtenir le droit de mourir. Confronté, impuissant, aux agonies terribles d’hommes jeunes en phase terminale du sida, il explique son implication sur cette question.

-Pour quelles raisons choisissez-vous les études médicales ?

J’ai grandi dans un environnement médical, avec une mère médecin en ville et un père chirurgien dans un petit hôpital. Mon père me poussait à préparer l’ENA, mais la haute administration ne me tentait pas. J’étais persuadé que la pratique médicale était la meilleure façon de joindre les dimensions scientifique et humaine. Je voulais être utile aux autres, une préoccupation assez répandue à l’adolescence. En revanche, j’ai tout de suite eu en tête de ne pas avoir la même pratique que mes parents. Je voulais exercer une spécialité et me consacrer en parallèle à la recherche, afin de contribuer modestement aux avancées médicales. J’ai donc dit d’emblée à mon père que je ne prendrai pas sa suite, ce qui l’a un peu déçu…


-  Comment se déroulent vos études ?

J’avais déjà un an d’avance et j’ai eu la chance de faire les deux premières années de médecine en une seule, grâce à une opportunité transitoirement offerte aux étudiants. Je me suis retrouvé externe, puis interne, très jeune. La partie théorique de mes études ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, c’était du bachotage… J’ai été très heureux de prendre enfin des gardes et de démarrer mes recherches en faculté de sciences. Depuis, j’ai compris pourquoi j’avais davantage appris au contact des malades que dans les livres : dans le cerveau humain, le centre de la mémoire est proche du centre des émotions. Lorsque l’on est au contact d’un malade, l’empathie explique que l’on retient beaucoup mieux les données sur sa maladie. Je pense qu’il faudrait donner à tous les étudiants la chance d’avoir ce contact avec les malades le plus tôt possible.

-Pouvez-vous nous raconter votre orientation vers l’immunologie et la transplantation ?

J’étais dans un service qui faisait les premières transplantations rénales, à Lyon. C’était très émouvant de s’occuper de ces malades pour qui c’était un peu la roulette russe à l’époque. Je me suis passionné pour cette activité, en me disant que l’on devait pouvoir faire reculer les rejets. Cela a été pour moi l’apprentissage d’une médecine rigoureuse, scientifique, avec un chef de service très exigeant et qui avait en parallèle un laboratoire de recherche. Je voulais moi aussi me consacrer à tout cela en même temps. De fait, j’ai eu la chance de faire de la recherche dans des domaines très variés : immunologie fondamentale, déficits immunitaires, greffes de moelle osseuse et d’autres cellules souches en plus des transplantations, traitements du cancer. Quand est apparu le sida, je me suis passionné pour le traitement de cette nouvelle variété de déficit immunitaire. J’ai aussi beaucoup travaillé sur les moyens de guérison des enfants bulles. Je considère comme un privilège d’avoir pu simultanément conduire des activités de chercheur et de médecin praticien.


-  Quels sont selon vous les défis à relever dans ces spécialités dans les prochaines années ?

Pour la transplantation, depuis plusieurs décennies, le principal défi est l’induction de la tolérance, afin de dispenser les personnes greffées d’un traitement immunosuppresseur à vie qui – s’il est mieux supporté aujourd’hui- présente encore des effets secondaires. Nous y parvenons déjà de temps en temps, mais pas de façon régulière. L’autre grand défi aujourd’hui reste la pénurie d’organes à transplanter. Par ailleurs, les greffes de cellules souches présentent un potentiel formidable et la thérapie génique donne déjà de beaux résultats, qu’il va falloir amplifier. Enfin, le développement de l’immunothérapie dans le cancer - dont on rêvait depuis des décennies- est désormais entré dans la pratique, avec des patients cancéreux qui guérissent !

-Pourquoi avoir déposé une proposition de loi en faveur de la création d’une « aide médicale active à mourir » ? Le cadre législatif Claeys-Leonetti existant n’est-il pas suffisant ?

Non, ce cadre est insuffisant et la preuve, ce sont les patients qui l’apportent. Ils sont nombreux à se rendre chaque année à l’étranger pour solliciter une fin de vie dont ils jugent ne pas pouvoir bénéficier en France. Cette décision est douloureuse à prendre, notamment car à l’étranger, on ne peut pas être entouré par l’ensemble de sa famille. Cela a été le cas pour Anne Bert, atteinte d’une maladie de Charcot [et qui a reçu une injection létale en Belgique en octobre 2017, à l’âge de 59 ans, ndlr]. En France, selon, l’Ined, 2000 à 4000 fins de vie sont médicalement organisées et déclarées dans les hôpitaux français. Comme c’est illégal, le chiffre réel est certainement bien supérieur… C’est comme à l’époque des avortements : une pratique réalisée en catimini, dans des conditions que l’on ignore. Il est temps d’offrir à ceux qui le souhaitent un accès égalitaire à cette modalité d’abrègement de l’agonie, comme la loi de 1975 a offert aux femmes la possibilité de recourir à l’IVG.

-Quelle est la différence entre « l’aide médicale active à mourir » que vous proposez et la « sédation profonde et continue » que permet la loi Claeys-Leonetti ?

La sédation profonde consiste à mettre la personne dans un état de sommeil et à attendre son décès. On ne sait pas précisément quels niveaux de conscience et de douleur peuvent perdurer et on n’empêche pas la phase agonique prolongée avec gasps respiratoires, suffocation, etc... C’est une situation hypocrite : on sait qu’il n’y a plus d’espoir, mais on n’apporte pas le soulagement complet au patient. Ce que je propose n’est ni un suicide assisté ni une euthanasie, mais un dispositif modéré, comportant plusieurs étapes. La personne en situation d’impasse thérapeutique (et non pas en dépression transitoire) doit tout d’abord affirmer à plusieurs reprises vouloir mettre fin à sa vie. Puis, trois médecins doivent évaluer si cette demande est raisonnable et légitime. La personne est à nouveau interrogée, et les informations sur les modalités de cette fin de vie lui sont transmises. C’est la communauté médicale –et non pas la famille- qui assume le fait de mettre un terme à la vie, sans culpabilisation de quiconque. Il faut bien comprendre que ce sont les progrès de la médecine qui rendent aigües ces questions aujourd’hui. Avant, les cancéreux qui avaient des métastases étaient déjà tellement cachectiques qu’ils mourraient très vite. Aujourd’hui, la médecine prolonge leur vie en bon état général, et leur cœur ne va pas s’arrêter net. Cela entraîne des agonies très longues et particulièrement pénibles.

-Aujourd’hui, les étudiants en santé sont-ils bien formés à cette question de l’accompagnement en fin de vie  ?

Les enseignements ont progressé mais l’accompagnement à la mort n’est pas encore suffisamment appris aux étudiants. Bien souvent, l’objectif se résume à repousser les limites de la vie. Quand j’étais jeune médecin, j’ai réanimé des malades que je ne réanimerais pas aujourd’hui. Au début du sida, j’ai été confronté à des hommes jeunes, qui ne pesaient plus que 35 kilos, et mouraient après des agonies atroces… c’était terrible. Ils mettaient des mois à mourir et disaient : « je ne veux plus que ma mère et mes amis me voient dans cet état ». Les médecins n’étaient pas toujours les plus courageux pour les accompagner ; les infirmières restaient des heures à leur chevet et nous demandaient de mieux soulager leur douleur. J’avais envoyé l’un de mes collaborateurs en Suisse et il est revenu en expliquant que l’on utilisait des doses de morphine beaucoup trop faibles en France. Je me souviens lui avoir dit : « Mais de fortes doses risquent de provoquer une détresse respiratoire et de hâter la mort ». Il m’a répondu très justement : « Et alors ? ».


-  Pour améliorer de façon globale la situation des personnes en fin de vie, quels moyens supplémentaires faudrait-il allouer pour les soins palliatifs ?

-  En Belgique, les soins palliatifs et les possibilités d’ « euthanasie » -puisque c’est le terme qu’ils utilisent là-bas, se sont développés simultanément. Evidemment, il y a bien plus de malades qui bénéficient des soins palliatifs. Seuls 1,8% des malades ont recours à l’euthanasie. Mais le seul fait que cela existe offre une porte de sortie. En France, si la loi est adoptée, les décrets d’application définiront comment sera pratiquée cette fin de vie, en s’inspirant probablement en partie de ce que font nos voisins belges, et ils préciseront aussi comment les soins palliatifs seront développés car l’un ne va pas sans l’autre.

-Selon vous, la société française est-elle prête à une telle évolution ? Quand le vote de cette loi pourrait-il intervenir ?

Les sondages de l’IFOP montrent que 96% des Français y sont favorables, c’est encore plus que ce que je n’imaginais. Cela ne signifie pas pour autant que tous veulent y recourir pour eux-mêmes mais ils désirent qu’une liberté de choix soit proposée. J’ai souhaité aborder cette question en début de mandat car je sais qu’elle sera plus difficile à discuter par la suite. Des réflexions vont être menées par le Comité national d’éthique. Ensuite, deux solutions : soit la loi est intégrée dans la révision des lois de bioéthique ; soit ce sera un texte de loi séparé. La deuxième option est préférable, pour plusieurs raisons : cette question ne s’inscrit pas strictement dans le champ de l’éthique comme la PMA ; par ailleurs, les sujets de bioéthique sont tellement nombreux que le débat risque d’être dominé par l’un ou l’autre. L’idéal serait que la question de la fin de vie soit discutée à l’Assemblée nationale dès 2018.

- Compte-tenu du contexte actuel, quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui se lancent aujourd’hui dans une carrière médicale ?

Les jeunes ne veulent plus exercer seuls et ils recherchent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ce que je comprends parfaitement. Je souhaite ici attirer leur attention sur le très grand intérêt de la gériatrie, tout aussi grand que celui de la pédiatrie à ses débuts. Comment augmenter la durée de vie en bonne santé ? Il y a certainement de nombreux travaux de recherche à mener autour de cette question. D’une façon générale, j’exhorte les médecins de demain à être animés du double impératif : qualité de soins et esprit de recherche. Ensuite, je leur conseillerais d’investir beaucoup d’efforts dans la prévention, car la France est en retard en la matière. Enfin, privilégier l’humain est fondamental : il faut à tout prix éviter la dérive vers une perte du contact avec les patients.

Pour en savoir plus sur le cadre législatif de la fin de vie


-  Bio express :

-  depuis 1979 : professeur à la faculté de médecine de Lyon et praticien hospitalier
-  1986-2012 : chef du service de Médecine de la transplantation et d’immunologie clinique, Hôpital Edouard Herriot, Lyon
-  1968 et 1972-1973 : activités de recherche à Édimbourg (GB), à Minneapolis et à New-York (USA)
-  Directeur du laboratoire « Immunologie de la transplantation » (hôpital E Herriot) et « Déficits immunitaires et Immunorétrovirologie » (faculté de médecine Laënnec)
-  Député (depuis 2007), Vice-président de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.

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  • Sophie Cousin
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