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Ethique : Annoncer un décès : une réelle souffrance pour les internes

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« Impuissance, échec et culpabilité » : voici les trois sentiments les plus partagés par les internes confrontés à l’annonce d’un décès dans leur cursus. C’est ce qui ressort d’une étude publiée fin 2018, réalisée par plusieurs praticiens hospitaliers et médecins enseignants à l’université de Clermont-Ferrand. Quelles sont les attentes des internes pour améliorer le passage de ces moments très difficiles ?

Menée par entretiens individuels auprès d’internes de médecine générale en Auvergne, cette étude* a colligé les réponses de 18 internes ayant été confrontés au moins une fois à l’annonce d’un décès à la famille. Réalisée par les docteurs Juliette Bonin, Virginie Sagot, Philippe Vorilhon et Yves Michelin, elle montre à quel point les internes se sentent seuls lorsqu’ils doivent faire cette annonce sans y avoir été préparés lors de leur cursus, comme nous le racontait le Dr Sabrina Ben Ali dans une interview récente.

Très forte charge émotionnelle
Le moment de la mort et la vision du corps inerte reste « tabous », souligne l’étude. Les internes se disent embarrassés une fois confrontés au corps. La mort génère souvent un sentiment d’échec. « Je ne sais pas si c’est parce qu’on est jeunes et qu’on veut tous les soigner », dit l’un d’entre eux. Tristesse, solitude, gêne, stress… le moment de l’annonce est très chargé émotionnellement, en raison des réactions des proches. « C’est au-delà de la douleur. C’est indescriptible. Faut vraiment l’entendre pour se dire (…) c’est un cri de désespoir, de déchirement, enfin, plein de choses mélangées à la fois. En fait je dirais même que c’est violent. Voilà, c’est très violent comme moment. » Les circonstances du décès sont déterminantes, souligne l’étude. L’annonce d’un décès brutal génère de la panique. Les internes déclarent une forte inquiétude pour la famille et la façon dont elle va réceptionner la nouvelle. A fortiori quand l’annonce est faite par téléphone et que l’interne ne connaissait ni le patient, ni son entourage, comme c’est généralement le cas lors de gardes.

Des compétences relationnelles et communicationnelles à approfondir
« La relation médecin-patient est peu enseignée lors de la formation médicale initiale et cette lacune se fait particulièrement ressentir au moment de l’annonce », souligne l’étude. La famille réagit le plus souvent avec calme mais la colère et l’agressivité surviennent parfois, de façon imprévisible. « Il faut rester humble et calme, parce qu’on est humain avant tout, avant d’être médecin. » La plupart des internes interrogés préfère une annonce directe en utilisant le mot « mort » ou « décédé » et non pas « il est monté au ciel ».
L’étude souligne que « le système de formation français n’aborde pas la problématique des émotions et ce sont les expériences qui permettent aux internes de construire des expériences dans ce champ ».

Peu de formation éthique sur la mort
L’interne se retrouve souvent seul à ce moment très délicat de sa formation et cela renforce l’impression que « la formation n’est pas axée dans le sens de l’entraide ». Comme le souligne cette étude, « la formation médicale initiale en France laisse peu de place à la réflexion éthique et philosophique sur la mort ». Les internes sont très souvent confrontés à la mort en première ligne lors de leurs stages hospitaliers, sans l’avoir rencontrée autrement que dans les livres. Récemment, des efforts ont été faits, avec l’élaboration d’un guide par la HAS et la mise en place du protocole SPIKES dans l’annonce d’un cancer, mais cela semble insuffisant pour le moment.

Les attentes des internes
Déjà être informés sur ce qui les attend ! Les internes souhaiteraient aussi une meilleure définition des rôles. Plusieurs internes préféreraient par exemple que l’annonce du décès soit faite par les infirmières, ce qui leur permettrait d’assister à l’annonce dans un premier temps et de s’y préparer progressivement. Autre souhait : l’accompagnement de l’interne par un senior lors de ses premières annonces. Une mesure qui semble difficile à mettre en application en raison des manques d’effectifs dans les services hospitaliers… Quid d’une formation spécifique ? La majorité des internes aimerait qu’un médecin expérimenté leur donne des pistes pour faire ces annonces. Ils sont également nombreux à souhaiter une formation de mise en situation. Une possibilité qui pourrait se développer avec la mise en place des ECOS dans le cadre de la réforme du deuxième cycle des études médicales
Le debriefing avec un senior est unanimement réclamé. Un interne déclare par exemple « J’ai été obligé d’en parler à ma chef et de lui dire « écoute, je l’ai mal vécu » ; un autre « j’avais besoin d’une petite psychothérapie faite par les infirmières après ». Mais les internes ont bien conscience que ce n’est pas toujours possible par manque de temps des seniors. Les internes souhaiteraient par ailleurs la mise en place de groupes d’échanges de pratique dès le début des stages à l’hôpital. « La médicalisation de la mort dans notre société tend à faire passer l’idée qu’une bonne mort doit passer inaperçue. L’intérêt d’une relecture de l’évènement avec les jeunes professionnels est importante car la répétition des annonces diagnostiques graves et la confrontation répétée aux décès peut être à l’origine du burn-out des soignants, d’autant plus que certains internes n’osent pas en parler, par peur, par honte, ou par orgueil », conclut l’étude.

*Pour en savoir plus

L’avis de l’experte
Dr Juliette Bonin (photo), auteure de la thèse sur le sujet*, médecin généraliste en médecine polyvalente au CH d’Issoire (Puy-de-Dôme)

« Plus de simulation clinique »
« Ce sujet a été assez peu étudié et j’en ai eu l’idée lorsque je me suis moi-même retrouvée confrontée à ces annonces lors de gardes de nuit, en tant qu’interne. Cela laisse des traces. Lorsqu’un patient que l’on n’a jamais vu décède et qu’on doit prévenir ses proches par téléphone, on manque de vocabulaire, de confiance en soi, d’expérience. Il ressort des entretiens que j’ai menés que les internes souhaiteraient assister d’abord à une annonce avec une infirmière ou un senior pour savoir comment s’y prendre. Mais bien souvent, l’interne n’ose pas demander, par crainte d’être considéré comme faible. La question au fond est celle d’une mise en autonomie trop rapide. Actuellement, il y a peu de choses en place pour aider les internes, en dehors de groupes de parole et de certains cours axés sur la communication auprès des patients, dans les départements de médecine générale. D’autres pistes pourraient être utiles : sensibiliser les maîtres de stage à ces difficultés, afin qu’ils débriefent plus souvent les internes confrontés à ces annonces ; organiser des simulations cliniques plus poussées mettant l’interne face à un acteur qui joue le rôle de la famille, comme c’est déjà pratiqué aux Etats-Unis par exemple ; enfin, proposer un enseignement théorique sur les différentes façons de communiquer lors de ce moment, qui pourrait intéresser certains internes, mais pas tous. Certains pensent en effet que les compétences en intelligence émotionnelle ne relèvent pas d’outils pédagogiques mais de l’expérience »

*Dr Juliette Bonin, Thèse soutenue en octobre 2017 : « L’annonce d’un décès à la famille : vécu des internes de médecine générale et perspectives d’amélioration »

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  • Sophie Cousin
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