logo remede logo remede
La 1ère Communauté Médicale
médecine - pharmacie - odontologie - maïeutique
M'identifier
Mot de passe oublié ?
Je me connecte

Vous n'êtes pas inscrit à l'annuaire des membres ? Inscrivez-vous

Dr Sabrina Ali Benali : La blouse n’est pas une armure, elle ne le devient jamais

partage mail facebook twitter linkedin
En janvier 2017, sa vidéo dans laquelle elle interpelle Marisol Touraine sur l’état d’urgence permanent à l’hôpital, fait 11 millions de vue en moins de 72 heures sur les réseaux sociaux. Des milliers de témoignages glaçants y font écho. Deux ans plus tard, Sabrina Ali Benali, médecin remplaçante aux Urgences médicales de Paris, ancienne interne de l’AP-HP, notamment aux urgences publie « La révolte d’une interne -Santé hôpital : état d’urgence » (Le Cherche-Midi). Pour Remede, elle évoque ses études, son attachement viscéral aux patients, les graves lacunes de la formation des étudiants à la relation médecins-patients. Pour ne pas sombrer avec le paquebot hospitalier, elle a choisi de militer et d’adapter son mode d’exercice.


-  Pourquoi avez-vous choisi médecine ?

-  Pour réparer les injustices de la vie. Si faire médecine pouvait me permettre d’aider des personnes à lutter contre certaines injustices du corps et rendre leur vie moins douloureuse, c’était ma priorité. A 8 ans, j’ai fait une mauvaise chute qui a provoqué une fracture du rein, une rupture des vaisseaux rénaux et une hémorragie interne. J’avais été très amoureuse de la radiologue qui s’était occupée de moi. La douceur de ses examens lors des échographies répétitives du rein me reste encore en mémoire. Au début, je pensais d’ailleurs suivre sa voie et me spécialiser en radiologie. Mon souhait de faire médecine s’est confirmé plus tard, à l’âge de 12 ans, lorsque j’ai perdu mon père des suites d’un infarctus.


-  Quel est le meilleur souvenir de vos études ? et le pire ?

L’hôpital est un endroit que j’ai tout de suite aimé et que je n’ai plus eu envie de quitter. Mon plus beau souvenir, c’est celui de Mr J, un patient qui avait eu de nombreux accidents de la vie et souffrait d’une cirrhose alcoolique. Le vécu quotidien de sa maladie décompensée était très pénible pour lui : à chaque fois qu’on lui disait qu’il allait pouvoir sortir, ses résultats étaient mauvais et il devait resté hospitalisé. Je me suis beaucoup investie auprès de lui. On a été une équipe soudée contre sa maladie, alors qu’il baissait les bras. Il est sorti et a pu être greffé ! On avait gagné. Le pire, c’est le décès de Lilly, lors de mon stage d’externat en cardiopédiatrie. Cette petite fille souffrait d’une cardiomyopathie obstructive. On a dû lui implanter un cœur artificiel en urgence, en attendant une greffe. J’ai beaucoup joué avec elle lorsqu’elle était en réanimation, je n’allais plus tellement en cours… Quelques jours après la greffe, une nouvelle interne m’a annoncé que Lilly était morte. La chef de service m’a expliqué que la greffe avait fonctionné mais que le cœur n’était pas reparti. Elle m’a dissuadée d’aller à ses funérailles. A ce moment de ma vie d’étudiante, je n’avais eu aucun cours, aucune formation me donnant les outils pour affronter ce genre de situation.

-Cet attachement aux patients ne peuvent-ils pas devenir dangereux pour le soignant et sa propre santé mentale ?
-  Il n’y a pas de véritable règle là-dessus. Après le décès de Lilly, j’étais dans un état d’implosion, je n’arrivais plus à dormir et les crises d’angoisse se sont installées peu à peu. Longtemps après, j’ai pensé qu’il y avait peut-être des barrières à mettre en place. Mais en fait, le plus important est d’être formé aux différents aspects de la relation médecin-malade. Après le décès de Lilly, j’ai suivi des cours d’éthique et de relation aux patients et j’ai énormément appris. J’ai notamment compris que j’avais fait une forme de transfert positif sur cette petite fille, en raison de mon accident au même âge. Quand on a les outils pour comprendre ce qu’il est en train de se passer dans son cerveau et son attachement, on est mieux protégé.

-Comment développer la formation des étudiants en santé à la relation aux patients ? A quel moment du cursus et sous quelle forme ?
-  Pendant l’externat, je n’ai bénéficié que d’un module optionnel de quelques heures en communication. C’est trop peu ! Cette formation devrait intervenir dès le début des études. On envoie des jeunes gens de 22-23 ans à l’hôpital, dans pleins de services difficiles avec des patients intubés, des décès…sans y avoir été préparés. Quand une personne va voir un proche à l’hôpital, elle est parfois prévenue que les images vont être difficilement soutenables. Pourquoi ne prévient-on pas ceux dont ça va devenir le métier pour la vie ? Il serait utile d’avoir une formation initiale puis des groupes de pairs tout au long de la vie car les pratiques et les façons de s’adresser au malade évoluent au cours de la vie. Toutes les études montrent que partout où les groupes de pair sont développés (Canada…), les médecins estiment que leur pratique est bien meilleure. En France, le médecin est souvent dans une relation de « sachant » et non de « personne au service de » avec ses patients ; il faut évoluer sur ce point. Cela induit une façon très différente de s’adresser au malade.

-Le temps de travail des internes n’est toujours pas respecté. Faut-il selon vous prendre des sanctions financières, comme le réclame l’ISNAR-IMG ?
-  Le plus lourd stage que j’ai fait a été l’hépato-gastro-entérologie. On finissait très tard et on passait nos soirées à faire des comptes-rendus car les secrétaires médicales avaient 2 à 3 semaines de retard, malgré toute leur bonne volonté. La politique d’économie mortifère sur tous les postes hospitaliers ne permettra pas de soulager qui que ce soit. Il faut augmenter les effectifs, et vite ! Je reste sceptique sur l’efficacité de sanctions financières. On peut craindre que les internes ne signalent pas leur surcharge horaire de peur de se voir accusés d’être à l’origine de plus de difficultés pour le service. Actuellement, les internes ne s’arrêtent pas quand ils sont malades. Quand on est deux à s’occuper de 26 lits et qu’il n’y a pas de remplacement possible, comment faire pour s’absenter sans se décharger sur son co-interne ? Le plus drôle là-dedans, c’est que les internes sont censés être en formation et l’hôpital est censé tourner sans eux !

-Vous décrivez dans votre livre des comportements violents de la part de certains chefs de service (humiliations publiques, dossiers jetés à la figure, sexisme…). Comment les faire cesser ?
-  Le sexisme, ça devrait aller rapidement mieux vu qu’on est maintenant entre 60 et 70% de femmes à entrer en médecine ! Je trouve ça effectivement aberrant que certains cours magistraux de gynécologie puissent s’ouvrir avec une diapositive « humoristique » comparant le bassin des femmes à celui d’animaux. J’estime que ces comportements doivent être sanctionnés. Actuellement, un médecin homme peut tenir des propos sexistes et humiliants devant un parterre de 400 étudiants et il ne se passera absolument rien. Intégrer les sciences humaines en médecine permettra de penser et d’améliorer les relations entre médecins d’une part et entre médecins et patients d’autre part.

-Plus précisément, quels enseignements ?
-  Il y a de grosses lacunes en sciences humaines et en santé publique. Quand vous parlez d’Ambroise Croizat, une majorité de professionnels ne savent pas de qui il s’agit alors que c’est le ministre qui a créé la sécurité sociale en 1947 et grâce à qui ils vont avoir un salaire toute leur vie ! Aux cours du DU d’Ethique dirigé par Emmanuel Hirsch j’ai appris énormément de choses et son livre « Ethique, médecine et société » est devenue ma bible. Se replacer dans le passé apporte une forme d’humilité. Nous ne sommes pas les premiers médecins, loin de là, nous sommes issus d’un corpus qui existe depuis plusieurs millénaires.

-Et sur la formation en psychologie ?
-  Je lis tellement d’atrocités dans les témoignages de patients que je reçois. On doit apprendre dans notre cursus les fondements d’une consultation. Sans nous en rendre compte parfois, nous pouvons parfois être humiliants, irrespectueux, voire même violents. Je prépare ma thèse sur les violences faites aux femmes, avec un outil destiné aux soignants de premier recours pour dépister les psycho-traumatismes chez les femmes victimes de violence. On en est au 5ème plan triennal sur ce sujet, érigé en grande priorité nationale ; or, il n’existe toujours pas de formation obligatoire sur cette question. Les soignants de demain n’apprennent pas comment repérer une femme victime de violence. Les médecins viennent de signer une pétition « Non à l’abattage », pour dire leur refus de voir un patient toutes les 10 minutes, comme leur demandent les pouvoirs publics. Comment une femme victime de violence pourrait-elle commencer à évoquer le début de quelque chose dans une consultation très minutée ?

-Vous vouliez être urgentiste mais vous écrivez « je ne me sens pas capable à l’heure actuelle de travailler dans ces conditions » ? Où travaillez-vous aujourd’hui ?
-  Je suis médecin remplaçante en permanence des soins aux Urgences médicales de Paris, depuis un an. C’est du 7-7, 24-24, mais on choisit des créneaux horaires donc ça me permet d’être flexible. Ca me convient beaucoup mieux pour l’instant. Il n’y a pas de pression et il m’arrive régulièrement de passer 30 minutes ou plus chez un malade, j’apprécie beaucoup. Je fais deux nuits par semaine et j’ai découvert que je pouvais très bien travailler la nuit si je dormais avant ! J’aimerais garder cette activité, avec des vacations à l’hôpital à côté car les urgences me manquent beaucoup. A Antoine Béclère par exemple, ils ne sont plus assez de médecins pour assurer la liste des gardes de nuit suite aux démissions successives. Ceux qui restent vont s’épuiser. Je milite pour que ça change : il ne peut pas y avoir le choix entre l’épuisement et rien.

-Sur la saturation permanente aux urgences, que préconisez-vous ?
Comme le mentionnent les 14 chefs de service dans leur appel, le numéro d’appel unique pour les urgences serait une bonne chose. On pourrait aussi imaginer une brochure à destination de la population sur les gestes à adopter et les services médicaux à contacter en cas d’incident, comme les plaquettes de consignes de sécurité dans les avions. Ensuite, le problème de l’accès aux soins est un défi, car c’est en l’absence de médecins de premier recours que les patients terminent aux Urgences. Il y a une croyance bien ancrée sur les personnes qui iraient pour rien aux urgences. En dehors de quelques abus minoritaires, toutes les personnes qui s’y trouvent ont besoin d’un soin à minima à moyen terme mais n’ont pas trouvé d’autre recours.

Bio express
-  2007 : entrée en médecine
-  2014 : début d’internat
-  2017 : Vidéo Sabrina Aurora, « Aux urgences, c’est tous les jours l’état d’urgence, madame Touraine ! »
-  2018 : parution de son livre
-  Sujet de thèse, en préparation : création d’un support, pour les médecins de premier recours guidant la prise en charge des femmes victimes de violence souffrant de psycho traumatismes, du dépistage à l’orientation

partage mail facebook twitter linkedin
  • Sophie Cousin
Tags :
  • interview du mois
  • Top - ne pas manquer
  • internat_medecine
  • professionnels_medecine
  • hôpital
  • réforme
  • 3 eme Cycle
livreslivrescontactspublicationstwitter