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Dr Jean-Michel Lecerf : Tout médecin devrait suivre un D.U de Nutrition

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Un premier engagement associatif lui donne le goût de la médecine générale, mais ce sera finalement l’endocrinologie. A peine entré à Pasteur, les consultations, les expertises et les publications donnent un tempo soutenu à sa carrière. Le Dr Jean-Michel Lecerf, chef de service de Nutrition à l’Institut Pasteur de Lille a mis la nutrition au centre de son engagement professionnel et citoyen. Il nous explique les limites d’une vision trop stricte de l’alimentation.

A quel âge avez-vous pensé à faire médecine ? Pour quelles raisons ?

-J’ai voulu être médecin à l’âge de 6 ans, sur mon lit d’hôpital. Je m’en souviens très bien : j’ai soufflé mes bougies et j’ai dit que je voulais être chirurgien. Pendant mon enfance, j’ai eu d’assez gros problèmes de santé et j’ai subi de nombreuses interventions chirurgicales. Parmi les médecins qui s’occupaient de moi, il y avait un médecin homéopathe que j’aimais beaucoup, ainsi qu’un généraliste et un chirurgien. Après cette prise de conscience, ma vocation n’a jamais changé d’un pouce. Au lycée, j’aimais beaucoup les sciences naturelles, mais j’étais aussi assez littéraire. J’ai fait mes études de médecine à Lille, dans une grande faculté catholique. En première année, je me suis engagé dans l’Association « Les petits frères des pauvres ». Cela m’a ouvert les yeux sur la misère et l’importance de la relation humaine. C’est là que j’ai décidé de devenir médecin généraliste.

Pourquoi vous tournez-vous ensuite vers la nutrition ?

-Pendant mes études, j’ai à nouveau eu des ennuis de santé, et je me suis dit que la médecine générale serait trop fatigante pour moi. J’étais aussi bénévole dans l’association « Frères des hommes », qui s’occupait notamment de nutrition dans les pays en développement et je trouvais ces questions passionnantes. Je me suis donc tourné vers l’endocrinologie, porte ouverte vers les maladies métaboliques et la nutrition. Je voulais faire l’internat mais j’ai dû abandonner en raison de mes ennuis de santé et j’ai donc fait le CES [Certificat d’études spéciales, ndlr] en 3 ans. Avant de m’installer en tant qu’endocrinologue, j’ai fait des remplacements en médecine générale pendant 7 ans, pour faire bouillir la marmite. Parallèlement, j’ai démarré mes consultations à l’hôpital en 1982 et mon enseignement auprès des internes, en tant qu’attaché

Comment arrivez-vous à l’Institut Pasteur de Lille ?

-En 1982, j’ai eu l’opportunité de remplacer un médecin, qui devait donner un cours sur la nutrition dans les pays en développement et connaissait mon lien avec l’association Frères des Hommes. Cela m’a permis de rencontrer le directeur de ce cours, qui était aussi le directeur de l’Institut Pasteur de Lille. Il cherchait quelqu’un pour terminer une étude sur la nutrition des personnes âgées à domicile. J’étais alors jeune endocrinologue et j’ai été passionné par cette enquête épidémiologique. Entre 1982 et 1986, j’étais toujours attaché à l’hôpital et vacataire à Pasteur. Puis je me suis installé en tant qu’endocrinologue en 1986.

Comment se met en place le service Nutrition à l’Institut Pasteur ?

-En 1984, j’ai écrit « Manger autrement », qui a fait un « tabac » (70 000 exemplaires vendus par correspondance). Le directeur de l’Institut Pasteur m’a dit qu’avec les revenus de mon livre, nous allions créer un service de Nutrition. En 1987, nous avons commencés à être experts pour l’industrie agro-alimentaire. C’est ainsi que j’ai créé en 1987 la première margarine sans acide gras trans et enrichie en oméga-3. J’ai repris une consultation spécialisée dans les lipides au CHRU de Lille ; et à l’Institut Pasteur de Lille j’ai créé l’éducation nutritionnelle pour la prévention et les menus alternatifs pour la restauration collective. Puis en 1999, nous avons lancé les premiers Entretiens de Nutrition de l’Institut. En 2004, j’ai arrêté mon exercice libéral d’endocrinologie. J’ai conservé en revanche mon activité de médecin attaché à l’hôpital, avec une très importante consultation spécialisée dans le domaine des lipides.

Vous avez de nombreuses collaborations avec l’industrie agro-alimentaire, très clairement indiquées sur votre CV. Cela influence-t-il vos prises de position nutritionnelle ? Etes-vous « pro-lait », comme certains l’affirment ?

-Je balaie ces accusations du revers de la main. Je ne suis absolument pas pour le lait ni contre le lait, ni pour ou contre aucun autre aliment. Je suis pour la nutrition. Je suis un scientifique et un médecin, j’ai une très grande expérience, et je n’ai aucun conflit d’intérêt. Dans 100% de mes activités de conseil scientifique (conférences, formation, etc…), toutes les rémunérations sont versées à mon service à l’Institut Pasteur de Lille. Je n’en retire aucun bénéfice personnel, à la seule exception des droits d’auteurs pour mes livres, qui ne peuvent être perçus que par un particulier.

Votre CV est impressionnant : vous êtes membre de très nombreux comités scientifiques, vous avez signé 750 publications , 30 chapitres de livres, une quinzaine de livres, vous enseignez… Comment faites-vous pour tout concilier ? Etes-vous hyperactif ?

-Je travaille beaucoup en effet et je dors peu, 6 heures par nuit en moyenne. C’est vrai que j’écris beaucoup et que j’écris vite. Mais il faut dire que j’ai une très bonne équipe à l’Institut Pasteur de Lille et qu’en réalité, je ne suis actif en permanence que dans une petite dizaine de comités scientifiques. Je pense que j’ai la chance d’avoir un équilibre psychologique qui me permet de ne pas m’angoisser : quand j’ai beaucoup de choses à faire, je m’organise beaucoup. Quand je ne travaille pas, je jardine et j’ai une vie de famille (10 petits enfants) qui est aussi très remplie. Et, depuis 5 ans, j’ai été ordonné Diacre de l’Eglise Catholique. Cela n’a pas d’impact direct sur mes activités professionnelles, mais c’est un engagement qui m’habite en permanence.

Vous êtes chargé de cours pour dans plusieurs D.U de Nutrition. Les médecins généralistes sont de plus en plus nombreux à vouloir se tourner vers cette spécialisation. Comment bien se former à la nutrition ?

-Je pense que tout médecin devrait suivre un D.U et des modules de FMC en nutrition. Ceux qui veulent avoir un exercice particulier le peuvent bien sûr, mais je pense qu’un exercice exclusif de la nutrition, quand on est généraliste, revient à traiter des obèses et des femmes en surpoids. C’est donc un peu limitatif … Lorsque l’on a vraiment la fibre pour la médecine générale, on risque de la perdre si on ne fait plus que de la nutrition. Je conseille aux étudiants intéressés de se renseigner sur les D.U de Nutrition existants ; ceux de Clermont-Ferrand, Dijon, Rennes, Paris, Strasbourg et Lille, entre autres, sont réputés pour leur très bon niveau d’enseignement.

-Selon vous, les messages de santé publique sont-ils efficaces dans le domaine de la nutrition ? L’augmentation constante du nombre de personnes en surpoids ou obèses, notamment chez les enfants et adolescents, n’est-elle pas le signe de l’échec de ces politiques ?

-Je pense que le discours du Programme National Nutrition Santé (PNNS) a en partie échoué par ses recommandations orthorexiques, en pointant des aliments mauvais pour la santé, à éliminer. Cette vision de l’alimentation ne fonctionne pas pour atteindre l’équilibre alimentaire en population générale. Par ailleurs, il faut savoir que l’on ne connaît pas encore précisément les causes de l’épidémie d’obésité. La balance entre ce que l’on mange et ce que l’on dépense n’est qu’un élément d’explication. Nous, scientifiques, découvrons au fur et à mesure l’influence d’autres facteurs : les perturbateurs endocriniens, le microbiote, le stress, le sommeil, le temps passé devant les écrans, le déroulement de la grossesse et de l’accouchement, etc… A tel point que l’on peut légitimement aujourd’hui se poser cette question : l’obésité est-elle une maladie nutritionnelle ? En tous les cas, la culpabilisation des patients est un levier qui a montré son inefficacité. Et puis il ne faut jamais perdre de vue que manger est une activité qui chez l’homme a plusieurs fonctions : se restaurer, se réconforter et se rassembler.

Propos recueillis par Sophie Cousin

Bio express

  • 1981 : Docteur en médecine (exercice de la médecine générale de 1979 à 1986)
  • 1982 : spécialiste endocrinologie et maladies métaboliques
  • Depuis 1982 : Chef du service de Nutrition à l’Institut Pasteur de Lille.
  • 1982 : D.U de gériatrie et gérontologie
  • Depuis 1983 : attaché consultant CHRU de Lille-Hôpital Claude Huriez, service de Médecine interne, dans le domaine des lipides
  • 1986-2004 : spécialiste en endocrinologie et maladies métaboliques (libéral) ; Membre de plusieurs sociétés savantes (Société Française de Nutrition, Nouvelle Société Française Athérosclérose, Société francophone du Diabète) ; Membre expert auprès de l’ANSES (AFSSA) et de la HAS ; Président du conseil scientifique du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (GROS).

Crédit photo : ©sam.bellet

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