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Dr Eric Henry, MG, président de l’association SPS « Un soignant épuisé peut passer à côté du diagnostic »

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Il se rêvait en rock-star. Finalement, il s’est raccroché à la médecine. Très investi sur la question de la prévention du suicide, le Dr Henry s’est engagé tôt pour la prise en charge des soignants en détresse. L’Association Soins en professionnels de santé (SPS) reçoit en moyenne 200 appels par mois et offre différentes solutions de repli pour les soignants au bout du rouleau, jusque dans des unités dédiées. Dénonciation du non-respect du repos de sécurité, de la culpabilisation des internes, des prises en charge dangereuses entre collègues…. C’est sans langue de bois que le Dr Henry se livre à Remède.

-Comment vous êtes-vous orienté vers la médecine ?
-  Mon père s’est suicidé quand j’avais 17 ans et après, j’ai fait le voyou. Je me suis fait virer du bahut. Ensuite, j’ai fait 6 ans de hard-rock, dans un groupe qui m’a structuré, mais comme je n’ai pas pu être rock-star à la fin, je suis tombé dans une dépression profonde. Sans aucun argent, ma seule porte de sortie était de reprendre des études. Ma mère m’a dit : « Je ne t’ai jamais rien payé puisque tu n’as rien fichu… je te propose de te repayer des études. » J’ai repassé mon bac à 24 ans. Ma sœur était médecin et ça m’a donné envie. Mon père avait voulu être vétérinaire, mais il avait eu peur du bizutage et n’avait pas réussi… Reprendre des études a été un challenge, mais je me suis mis avec des étudiants qui travaillaient bien et j’ai rattrapé le niveau. J’étais troisième de la classe en terminale. A partir de là, tout s’est bien passé. J’ai hésité entre Sciences Po et commissaire de police, mais je suis allé en médecine par facilité, comme ma sœur.

-Pourquoi la médecine générale ?
-  C’est simple : je n’ai jamais pensé faire autre chose en médecine. Je ne savais même pas que les spécialités existaient ! Au fur et à mesure de mes études, j’ai rencontré un cardiologue me disant « tu devrais faire cardiologie », un neurologue « tu devrais faire neurologie », etc. Ils voulaient tous prouver qu’ils avaient choisi la bonne spécialité. Mais moi, je trouvais ça trop pointu, enfermant, et je voulais me sentir libre et être plus proche des gens. Enfant, j’habitais dans l’Est de la France et au fond d’une vallée isolée, il y avait un couple de médecins, des amis de mes parents. Quand je me suis cassé le bras, c’est lui qui m’a fait un plâtre. Quand je me suis ouvert la main sur une grille, c’est lui qui m’a recousu. C’est ça l’idée que j’avais de la médecine : rendre service aux gens, dans leur quotidien.

-  Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la question de l’épuisement des professionnels de santé ?
-  Au travers de l’histoire de mon père. Je me suis formé à la prévention du risque suicidaire en 2010. Quand j’ai voulu mettre ça en place dans mon territoire, mes collègues ont fait la tête, pensant que j’allais leur piquer de la clientèle… Ca a été un sacré frein au développement de l’idée. En 2014, quand Pierre Carayon (ancien chef de service de gastro-entérologie et addictologie au CHU de Besançon) est venu me chercher avec Catherine Cornibert (docteur en pharmacie, aujourd’hui directrice de la communication de SPS), pour créer une association en ce sens, je me suis dit : « C’est maintenant ! » Je me suis engagé auprès des soignants en souffrance, d’abord parce qu’ils sont exposés au risque suicidaire, comme partout. Ensuite, je me suis dit que si ces personnes elles-mêmes s’organisaient pour se prendre en charge, ce serait une grande avancée pour l’ensemble de la population.

-Quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui concernant la santé mentale des étudiants en santé ?
-  Lorsque j’étais interne, je me souviens avoir vécu exactement ce que les étudiants décrivent encore aujourd’hui. Je me suis retrouvé jeté dans un service d’hématologie, avec des gardes jours et nuits et des trajets en hélicoptère pour transférer les patients de Lorient à Brest ou à Rennes. Ma femme m’appelait en disant : « Mais t’es où ?! » et je répondais toujours : « Je finis et j’arrive », mais il était 23 heures. Je me suis retrouvé dans un tel état de stress ! Incapable de savoir ce que je devais faire… avec un risque de mettre en danger la vie d’autrui. J’ai dit à mon patron : « Là, je ne veux plus faire d’hémato, est-ce que je peux faire seulement de la médecine interne ? » Avec son accord, je me suis retrouvé à faire uniquement ce que j’avais envie de faire. Le stress est passé et je suis redevenu redoutable !

-En dehors de la surcharge de travail, quels sont les autres facteurs de stress ?
-  Le non-respect des heures de repos est un facteur primordial. Les internes font beaucoup plus que les heures légales ! Et ce système repose sur la culpabilité : « Si tu ne finis pas ça, tu n’es pas un bon médecin » ou « on n’a pas besoin de gens comme toi dans le service ». Vous appartenez à une caste, ou pas. C’est très simple de vous en exclure ! Par ailleurs, on voit beaucoup de jeunes médecins qui, lorsqu’ils viennent de s’installer, se prennent pour des surhommes, rien ne les arrête... Avec ce petit côté « les bombes tombent toujours à côté ». C’est un pari risqué.

-Beaucoup de jeunes contactent-ils la plateforme SPS ?
-  Non pas énormément, parce qu’ils grenouillent entre eux, dans leur monde hospitalier. Et qu’ils font l’erreur de prendre en charge entre eux les collègues qui ne vont pas bien. C’est justement ce qu’il ne faut pas faire ! Parce que si un collègue se suicide derrière, ils seront abîmés pour le reste de leur vie, en se disant qu’ils sont passés à côté… Ils peuvent bien sûr accompagner les collègues en détresse, les écouter, mais la prise en charge en soin relève de l’expertise. La bonne démarche est l’orientation vers une plateforme avec un psychologue en ligne, puis une orientation vers un psychologue, un psychiatre ou un généraliste en dehors de l’hôpital. Ce point est très important. Enfin, si le soignant a besoin d’être extrait de son milieu, il sera orienté vers une clinique dédiée*. Il ne faut pas hésiter, le cahier des charges a été validé par un groupe d’expert et le Cnom et tout est globalement pris en charge.

-Quels sont les risques pour les patients quand les soignants vont mal ?
-  Quand un soignant est en épuisement professionnel, il n’est plus à l’écoute, il devient harcelant avec le patient et expédie la consultation à toute vitesse pour passer au suivant car le planning est plein. Cela comporte des risques évidents de prendre de mauvaises décisions dans la précipitation et de passer à côté du bon diagnostic. Par exemple, je fais des gardes de nuit au Samu et lorsque je vais au cabinet le lendemain (je n’ai pas le choix sinon qui soigne mes patients ?!), si je n’ai pas du tout dormi, il m’arrive de faire des erreurs, comme prescrire un antibiotique à un patient alors qu’il y est allergique et que c’était indiqué dans son dossier…

-Que propose l’association SPS spécifiquement en direction de ce jeune public ?
-  Lors de notre quatrième colloque le 5 décembre, nous avons invité les syndicats de jeunes (ANEMF, ISNI, INAR, FNEK, FNESI, etc.) à venir nous exprimer leurs besoins afin de mettre en commun nos programmes d’action pour prévenir la souffrance psychique chez les étudiants. Jusque-là, chacun bricolait dans son coin. L’Ordre a créé une plateforme, les tutorats proposent des accompagnements… Tout ceci a un peu brouillé les messages. Nous souhaitons pouvoir communiquer tout simplement sur l’existence de la plateforme SPS dans toutes les universités, afin de prendre en charge les étudiants qui en ont besoin, puis les renvoyer vers les syndicats pour un soutien administratif. Notre objectif est que les doyens de toutes les autres professions de santé s’y mettent aussi (pharmaciens, infirmiers…). La plateforme SPS a reçu 3 000 appels depuis sa création. Notre fonctionnement est validé par cinq ARS et le conseil régional d’Ile-de-France, la Cnam. Il faut étendre le dispositif dans toutes les régions.

-L’engagement des pouvoirs publics est-il suffisant selon vous sur ces questions ? où en est le plan d’action sur la qualité de vie des étudiants en santé annoncé en avril 2018 ?
-  Les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur ont voulu reprendre la main sur ce sujet spécifiquement pour les étudiants. Mais il serait utile de tenir compte de notre expérience et de notre légitimité. Nous sommes en avance de quatre ans sur les annonces des pouvoirs publics et nous sommes très organisés. Nous avons apporté la preuve qu’avec peu de moyens, de la volonté et un plan d’action, on pouvait être efficaces. Plutôt que de réinventer ce qui a déjà été inventé avant, il faudrait plutôt venir à nos côtés pour voir ce qui marche. C’est ce qu’ont fait les ARS et le conseil régional d’Ile-de-France.


-  A l’échelle individuelle, que conseillez-vous aux étudiants pour gérer leur stress pendant ces années sous haute pression ?

-  D’abord, bien gérer son sommeil. Si on a du mal à le faire seul, consulter un médecin généraliste avec qui on peut parler de son rythme de travail, de révision. Quitte à mettre en place un vrai calendrier avec des horaires de travail et des pauses. Les micro-siestes et les courtes séances de méditation, par exemple, c’est génial pour redémarrer quand on se sent épuisé. Se remettre à faire du sport, ne serait-ce que courir, ce qui ne coûte rien, ou faire de grandes marches. Bien séparer la sphère professionnelle de la vie privée est primordial. L’absence de séparation conduit directement à l’épuisement. Et éviter l’alcool, le shit ou la cocaïne le samedi soir, sinon tous les autres conseils ne servent à rien !

Bio express :
-  1985-1993 : études de médecine à Rennes ;
-  juillet 1995 : installation à Auray (56) en tant que médecin généraliste et spécialiste en nutrition (secteur 1) ;
-  depuis 2005 : président de la Maison médicale de garde d’Auray ;
-  depuis 2015 : président et co-fondateur de l’Association SPS.

Pour en savoir plus :
*lien vers les Unités dédiées pour l’accueil des soignants en souffrance.

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  • Sophie Cousin
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