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Dominique Voynet : « La démarche diagnostique m’a servi dans plein de situations politiques »

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Féministe à l’énergie décapante, carburant aux convictions, Dominique Voynet ne connaît que depuis peu un répit relatif à l’Inspection Générale des Affaires Sociales. Bac en poche à 15 ans, mère à 19 ans, infirmière de nuit pour payer ses études, elle mène d’emblée une double carrière médicale et politique. Jusqu’en 1989, où elle fait le choix de la politique, tout en conservant son âme et ses outils de médecin, qui la guideront aux responsabilités.

Bio express

-  1975 : Obtient son Bac à 15 ans
-  1985 : Devient médecin anesthésiste, est élue à la tête des Verts de Besançon
-  1997 : Première ministre Verte de l’histoire de la République et plus jeune ministre du gouvernement (38 ans)
-  2001 : Élue secrétaire nationale des Verts
-  2008-2014 : Maire de Montreuil
-  2014 : Nouvelles fonctions à l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS)

Comment vous est venue votre vocation pour la médecine ?
A l’âge de 6-7 ans, l’une de mes tantes m’a offert une panoplie d’infirmière. Je me souviens de la voix de ma mère, piquée, disant « Domi ne sera pas infirmière, elle sera médecin ! ». C’était autant du féminisme qu’une envie très ancienne chez elle de faire médecine alors qu’elle venait d’une famille très modeste. J’ai été totalement libre de mon choix mais j’ai perçu par tout un tas de signaux, dans mon enfance, son admiration pour les médecins.
D’aussi loin que je me souvienne, à l’école, j’ai toujours répondu « médecin » lorsque je remplissais les fiches « Quel métier voulez-vous exercer plus tard ? ». Puis, en grandissant, mon souhait s’est précisé pour ce métier qui allie travail en équipe et responsabilités.

Votre arrivée en faculté de médecine correspond-t-elle à vos attentes ?
Pas tout-à-fait. On se retrouve très nombreux dans l’amphi, en train de bachoter. L’ambiance de compétition est très forte et pour moi, ce n’est pas assez collaboratif. Je me souviens de moments de solitude, d’autant plus que je suis très jeune. Lorsque je réussis le concours en fin de 1ère année, je suis heureuse mais je me souviens aussi d’un fort sentiment d’injustice vis-à-vis des camarades avec qui j’ai travaillé toute l’année et qui ont échoué.
Par ailleurs, je me sens en décalage par rapport au monde des études, que je trouve assez infantile, avec le troupeau d’internes qui suit fébrilement le troupeau de chefs. Je suis aussi choquée par la façon dont on traite les patients, comme par exemple le fait de soulever une couverture et de laisser quelqu’un nu devant le groupe de jeunes crétins ricanants que nous étions à l’époque.

Quels ont été les facteurs déterminants dans l’orientation de votre cursus ? Pourquoi le choix de l’anesthésie-réanimation ?
Assez vite, je me laisse happer par ma vie qui, finalement, va choisir à ma place. Je suis maman dès la deuxième année et travaille en tant qu’infirmière de nuit pour payer mes études. C’est une organisation de fer : 4 nuits d’affilée, je dois être à la clinique de 20 heures à 7 heures du matin, puis je dois me dépêcher d’aller m’occuper de ma fille avant de repartir pour mon stage à l’hôpital. Quand je sors de stage à la mi-journée, je vais dormir quelques heures avant d’aller chercher ma fille à l’école à 16h30. Malgré ce rythme très fatiguant, je décide quand même de préparer l’internat. Quelques jours avant le concours –à cause de la fatigue je pense- je me fais une entorse sévère. Le matin du concours, je n’y vais pas, alors que je m’étais préparée toute l’année. Je fais finalement anesthésie via un CES [certificat d’études spécialisées, ndlr].
Il y a aussi une dimension politique à mon choix : je choisis d’exercer à l’hôpital, en équipe, plutôt qu’en libéral. Je désapprouve le paiement à l’acte et cette médecine qui fait la part plus belle à la réparation et au soin qu’à la prévention et à l’éducation sanitaire. Je prends un poste à l’hôpital de Dole (Jura) en tant que faisant fonction d’interne. Je travaille à temps plein mais j’ai déjà une activité politique intense en parallèle. Je ne passe pas ma thèse, parce qu’au fond, je n’en ai pas besoin. D’une certaine façon, ma vraie vie est déjà ailleurs.

Quand est née chez vous la nécessité de vous investir dans le militantisme écologique puis en politique ? Et comment faites-vous pour mener ces deux carrières de front ?
Quand j’ai 14-15 ans, le mot « écologie » n’existe pas encore mais je sais que je veux m’investir dans ce domaine. Pour moi, cela a un lien avec ma pratique médicale : je vois arriver des maladies dites « de civilisation » ou « de système », dont on pressent qu’elles ont des causes environnementales. C’est l’époque où l’on commence à se poser la question des pesticides dans l’eau, des hormones dans la viande. A l’époque, j’ai une énergie folle ! J’ai l’impression que tout cela est compatible et cohérent et que rien n’est impossible. Je suis aussi très féministe et je veux faire mes preuves en tant que femme.
En 1989, tout va très vite : je deviens conseillère municipale à Dole et, la même année, secrétaire générale du groupe Vert au parlement Européen. L’idée de continuer à temps partiel à l’hôpital, avec des gardes de nuit, devient progressivement plus complexe. Je quitte l’hôpital en 1990 mais je continue les remplacements en anesthésie pour garder la main.

Dans le domaine politique, quel est l’acquis dont vous êtes le plus fière après toutes ces années de lutte ? Et votre plus grande déception ?
Parmi les choses dont je suis le plus fière, certaines sont invisibles, comme toutes les bêtises que j’ai réussi à empêcher. Je ne peux citer le nombre de fois où, informée du projet d’un autre ministère, j’ai pris mon bâton de pèlerin pour que ça ne fasse pas… Prendre le temps d’expliquer que l’on peut faire autrement, c’est fondamental.
Dans mon bilan au ministère, je retiens bien sûr la loi sur l’Aménagement du Territoire [1], qui est un véritable espace de démocratie locale. Par ailleurs, je suis aussi très fière d’avoir été la négociatrice française des accords de Kyoto. A l’époque, mon homologue allemande était Angela Merkel et je pense qu’à nous deux, nous avons fait beaucoup, face au Royaume Uni qui traînait des pieds, pour que l’Europe ait d’emblée une position courageuse sur le réchauffement climatique.
Dans mon bilan, ce qui se voit le plus est à Montreuil : une école en bois et en paille ; des milliers de logements impeccables d’un point de vue environnemental et pas plus chers que d’autres, une piscine au traitement de l’eau révolutionnaire, un éco-quartier, etc.
L’échec ? J’avais préparé une loi sur l’eau qui était une avancée majeure je pense, et qui a été vidée de son contenu au fil des arbitrages interministériels. Je le regrette car nous aurions pu gagner 20 ans sur la modernisation de l’agriculture.

Auriez-vous aimé vous investir davantage dans le domaine de la santé publique ?
La santé est un merveilleux terrain pour l’écologie. Je pense que j’aurais été légitime et efficace. En revanche, j’ai des options assez radicales, dont je comprends qu’elles ne soient pas soutenues par une majorité de syndicats médicaux. Cela fait très longtemps que je conteste le paiement à l‘acte et que je pense indispensable d’organiser l’installation des médecins, comme on le fait dans beaucoup d’autres professions. Je trouve vraiment révoltant de constater qu’à côté des déserts médicaux, il y a des médecins qui peuvent vivre en faisant quelques actes hors de prix par jour. J’aurais aimé me lancer dans ce combat. A Montreuil, j’ai dirigé le conseil de surveillance de l’hôpital et je me suis investie dans une ligne qui n’était pas forcément confortable - concilier la qualité des soins, les missions de santé publique d’un hôpital, avec les exigences de bonne gestion qui s’imposent à nous tous – avec des résultats dont je peux être fière.

Dans quel état d’esprit avez-vous quitté la mairie de Montreuil et êtes-vous arrivée à l’Inspection générale des affaires sociales ?
Je n’étais pas épargnée par un certain désenchantement à l’égard de la politique, qui touche bon nombre de nos concitoyens. J’étais par ailleurs convaincue que le fait d’être réélue à Montreuil imposerait des alliances politiques que je n’avais pas envie de conclure. Au fond, les règles du jeu politique ne me convenaient plus et, après mûre réflexion, j’ai décidé que la suite se ferait sans moi.
Lorsque j’ai quitté la mairie de Montreuil, on m’a d’abord proposé un autre poste, peut-être plus prestigieux que celui que je souhaitais à l’IGAS, mais dans lequel je me sentais moins légitime. Je sentais que mon expérience de médecin, de militante et d’élue d’une grande ville me préparait assez idéalement à l’IGAS. Je pense que mes années de formation et mes quelques années de pratique médicale ont été essentielles. La démarche diagnostique, par exemple, m’a servi toute ma vie, dans de nombreuses situations politiques.

Auriez-vous envie de retourner à la médecine ?
J’y songe. Je reviens de Guyane et dans certains villages, on manque de médecins. L’idée de faire des remplacements là-bas, pourquoi pas, mais pas toute l’année car les conditions de vie sont très difficiles et l’isolement extrême.
Quand je serai en retraite, j’ai cette idée de me mettre à disposition d’une association humanitaire, comme « Médecins du monde » . Car on ne se bouscule pas pour assurer des consultations dans les camps roms ou auprès des migrants de Calais. Ca suppose un sérieux travail de remise à niveau de mes connaissances.

De quel œil voyez-vous évoluer la filière médicale ?
Ce qui me frappe le plus, c’est l’archaïsme des outils de prospective et de pilotage en matière de santé. On continue à payer des numerus clausus inadaptés au fil des années, avec une pénurie dans certaines spécialités, une absence de prise de compte de l’arrivée de médecins européens formés dans d’autres conditions, etc… C’est du gâchis humain.
Par ailleurs, les coopérations entre métiers médicaux et paramédicaux vont s’imposer. L’autorité et la toute-puissance des médecins vont être remises en cause, avec une évolution vers un travail en équipe pluridisciplinaire, plus égalitaire. Le moment est venu de rompre avec des hiérarchies héritées du passé. On n’attend plus seulement du médecin qu’il soit un bon technicien, mais aussi un fin connaisseur de la société, un bon gestionnaire, un manageur d’équipe. Je ne suis pas sûre que les études médicales et que les modes de rémunération -dans leurs formes actuelles- aient pris en compte toutes ces dimensions.

Propos recueillis par Sophie Cousin pour remede.org

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