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Comment évaluer la “justesse” d’un soin ?

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Le 24 mai dernier, le Collectif PASS, le Groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière, Fernand-Widal et les Presses de l’EHESP organisaient un débat autour du thème suivant ! : « Juste soin au juste coût ou rentabilité ? Comment concilier les valeurs du soin avec les contraintes financières ? ». Les échanges nourris des différents intervenants ont mis en évidence la nécessité de chercher un équilibre entre contraintes financières, modes de financement et qualité des soins... Un beau défi. Explications.

Installées majoritairement dans des hôpitaux, les PASS (Permanences d’accès aux soins de santé) reçoivent des patients compliqués : polypathologiques, vivant dans un grand dénuement (problèmes de logement et de travail), souvent sans papier et parlant mal ou peu le français. Elles sont installées dans des locaux mal adaptés. Enfin, elles ne disposent que d’une enveloppe financière annuelle limitée, imposant que la prise en charge des malades élimine tout superflu, chaque dépense devant être mûrement réfléchie. Ce qui implique deux choses. D’une part, prendre le temps d’examiner la situation de chaque patient, en somme faire de la clinique. D’autre part exercer collégialement, pas seulement en interdisciplinarité, mais aussi en interprofessionnalité (médecins, infirmières, assistantes sociales, voire responsable financier).
Le Dr Claire Georges-Tarragano, responsable médicale de la PASS de l’hôpital Saint-Louis (Paris) et présidente de l’association Collectif PASS, estime qu’au final, en prenant le temps nécessaire à l’analyse complète de la situation, le patient est mieux soigné pour un « juste » coût. Elle fait remarquer que les professionnels de santé sont heureux d’y travailler, malgré des conditions de travail a priori difficiles, ce qui apparait particulièrement intéressant dans un monde hospitalier fortement impacté par un absentéisme entraine par des conditions de travail difficiles.
Cette expérience est le point de départ d’un ouvrage collectif paru en décembre 2015, au titre explicite : “Soigner l’humain. Manifeste pour un juste soin au juste coût”. Il a donné lieu à deux conférences débats, la dernière, le 24 mai dernier, à l’hôpital Saint-Louis (Paris), ayant eu pour thème le financement des soins : “ Juste soin au juste coût ou rentabilité ? Comment concilier les valeurs du soin avec les contraintes financières ?”

Comment évaluer la “justesse” d’un soin ?
Laurent Degos, hématologue et ancien président du Collège de la HAS (Haute autorité de santé), a fait remarquer que le « juste » n’est pas le même partout, en donnant l’exemple du nouveau médicament destiné à traiter l’hépatite C, efficace mais extrêmement onéreux. Le Royaume-Uni a décidé de ne pas le rembourser, suivant une logique utilitariste (trop cher pour le nombre d’années de vie gagnées). La France le rembourse, selon une logique égalitariste (tout le monde a droit aux meilleurs traitements). L’Allemagne a une logique dite de responsabilité : elle ne le rembourse qu’aux patients répondant bien aux traitements classiques de la maladie, ceux qui ont été inclus dans les essais justifiant l’autorisation de mise sur le marché.
Pour Marie Garrau, philosophe et maître de conférence à la Sorbonne (Paris), tout dépend de la valeur donnée au soin, ou plutôt des valeurs. Elles sont en effet de deux types : externes au soin parce qu’avant tout sociales, mais le cadrant, comme l’utilité, l’égalité, l’autonomie, l’efficacité ; intrinsèques au soin, qui ne peut s’en passer sans se dénaturer, comme l’attention, la responsabilité, l’écoute, le tact, l’humilité. Les secondes sont discrètes, voire invisibles. Le problème est la difficulté à les évaluer, et pas seulement financièrement.

Pour la T2A
Cette incursion dans le domaine des valeurs a laissé place à un débat passionné sur la T2A, focalisation habituelle des rencontres autour du financement des soins. Ses défenseurs d’abord, car il y en a. Jean-Pierre Dewitte, directeur général du CHU de Poitiers et président de la Conférence des directeurs généraux des Centres hospitaliers régionaux et universitaires, a plaidé pour la contrainte, qui est une des conditions de l’innovation. La T2A en est une qui permet le financement de nombreux projets innovants qu’elle finance indirectement : bien utilisée, elle rapporte de l’argent. Economiste à l’IRDES (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), Zeynep Or a rejoint ces propos, en proposant de partir de la notion d’efficience, le terme rentabilité n’ayant pas de sens dans un hôpital public : l’utilisation optimale des ressources disponibles pour la meilleure qualité possible de soins. La T2A est un outil pour l’améliorer parce qu’elle crée une pression économique qui oblige à l’innovation.

Juste coût ou moindre coût ?
Revenant sur les propos de Laurent Degos, le Pr André Grimaldi a estimé que la France est dans un tournant utilitariste d’inspiration anglosaxonne, qui se préoccupe plus du moindre coût que du juste coût. La T2A en est l’outil privilégié, alors qu’elle n’est adaptée qu’aux prises en charge en aigü ou aux soins techniques, mais pas aux autres (notamment à la prise en charge des maladies chroniques) et qu’il existe d’autres modes de financement (à la journée, dotation).

Financer le parcours de soins
Pendant le débat, plusieurs intervenants ont insisté sur les effets délétères de la T2A sur la qualité des soins. Pour Corinne Vons, présidente de l’association française de chirurgie ambulatoire, elle récompense les complications post-opératoires, puisque celles-ci augmentent l’activité hospitalière. Le financement devrait prendre en compte la totalité du parcours du patient, se baser sur l’évaluation des résultats des soins plutôt que sur les moyens employés, au contraire de ce qui se fait actuellement. Plusieurs praticiens ont appuyé ces propos, notamment en faisant remarquer l’inadéquation entre les soins effectivement pratiqués (ou qui devraient l’être) et les modalités actuelles de l’indispensable codification nécessaire à ce mode de tarification. Un neurologue a expliqué qu’un patient non décompensé rapporte moins à l’hôpital que celui qui passe en réanimation, ce qui revient à récompenser une mauvaise qualité des soins. Cependant Zeynep Or a estimé qu’il ne faut pas attendre la fin du parcours pour l’évaluer : on peut disposer de critères intermédiaires, comme la satisfaction du patient. Le manque de critères de qualité à la fois objectifs et subjectifs est effectivement un des problèmes actuels de l’évaluation, a renchéri Laurent Degos.

Evaluer les effets du financement sur les équipes soignantes
Ça n’est pas tout, a expliqué André Grimaldi : la T2A a aussi un effet délétère sur les équipes soignantes, point repris par Marie Garrau et Frédéric Pierru, sociologue : les critères de tarification ne tiennent aucun compte des conditions de travail des soignants, qui ont pourtant des effets économiques patents et mesurables, comme l’absentéisme ou turn-over dans les services. C’est une particularité française, a fait remarquer Zeynep Or. Ailleurs, ces critères sont pris en compte. D’autre part, le but premier de la T2A n’était pas la tarification, mais le repérage des établissements efficients, ce qui pourtant n’est pas fait. Elle concède que ce mode de tarification peut avoir des effets pervers du fait de son indifférence aux critères de qualité, mais elle souligne qu’aucune méthode n’est parfaite. Elle est appuyée par un intervenant de la salle, ancien directeur d’ARH, qui souligne qu’en outre le poids particulièrement élevé des dépenses hospitalières en France ne date pas de la T2A.
Directeur général de l’hôpital Saint Joseph (établissement privé à but non lucratif), Jean-Patrick Lajonchère estime que le problème est celui de la soutenabilité de notre système d’assurance maladie, dont les solutions ne sont pas que financières mais aussi organisationnelles, par exemple par le dépassement des clivages entre les médecins et les autres soignants. Certes, a répondu Laurent Degos, mais la T2A n’y répond pas et s’avère en particulier inopérante pour l’évolution de notre système de soins vers l’ambulatoire (chirurgie, centres de lutte contre le cancer...).

L’évolution vers l’ambulatoire
C’est un des buts des maisons de santé, souligne Didier Ménard, médecin généraliste, président de la Fédération des maisons et pôles de santé d’Île-de-France et président de l’association communautaire santé bien-être de la cité des Francs-Moisins (Saint Denis, 93). Nombre d’actes de soins et d’actions de prévention ne sont pas financés par l’assurance maladie alors même qu’ils sont efficaces, tout simplement parce qu’ils sont souvent invisibles et qu’ils n’entrent pas dans ses critères. Comme la T2A, la tarification à l’acte est inappropriée. Prenant acte de la difficulté de l’hôpital à changer ses modes organisationnels, il a fait remarquer que les soins ambulatoires sont, eux, en train de révolutionner le système de soins, notamment grâce au mouvement des maisons et pôles de santé. Ils améliorent non seulement la qualité des soins, mais « l’indice de bonheur partagé » des professionnels, grâce à un travail de collaboration entre eux, non hiérarchique, mettant en oeuvre des protocoles. C’est ce qui explique leur succès actuel. Les freins à cette évolution ne sont pas techniques, mais culturels.
Enfin plusieurs intervenants ont plaidé pour une véritable politique de prévention des maladies évitables, seule à même de faire baisser les dépenses de santé.
Harold Astre, directeur de la recherche et de l’innovation au CHU de Poitiers, a conclu que l’ensemble des interventions a montré la nécessité de chercher un équilibre entre les contraintes financières, les modes de financement et la qualité des soins. Ce qui est en soi un thème pour les chercheurs !

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